A quoi cela servait-il d'être beau et bien conservé quand personne n'était là pour le voir?
Il savait que si tout le monde faisait comme lui, le monde s'effondrerait encore plus rapidement, le changement climatique serait encore plus brutal... mais tout le monde ne faisait pas comme lui. Tout le monde n'était pas aussi riche qu'il l'était, alors il pouvait s'en foutre, l'argent lui donnait aussi ce droit-là, le plus merveilleux, le plus absolu de tous les droits : s'en foutre.
Mais Alexandre refusait que les derniers humains sur terre perpétuent des comportements qui avaient fini par avoir raison de l'espèce entière.
Si les pauvres angoissaient, les plus riches avaient encore un sentiment d'invulnérabilité : le prix des carburants ou du blé pouvait bien flamber, ça ne changeait pas grand chose pour eux. Il y avait des manifestations de plus en plus violentes mais elles éclataient dans les centres urbains, loin des quartiers où ils vivaient. Si l'été était trop chaud, il suffisait de descendre dans une villa de location d'un hémisphère où c'était l'hiver, et les guerres ne déchiraient encore à ce moment que des pays à l'histoire tourmentée et ne tuaient que ceux qui n'avaient pas les moyens de partir.
Comme c'est bien conçu, pensa Fred en imaginant l'ensemble des mécanismes à l'œuvre pour animer cet oiseau, lui permettre de voler, de manger, de dormir... Sa vie n'a pas plus de sens que la mienne et pourtant ça ne l'angoisse pas, lui, de savoir que jusqu'à sa mort chacune de ses journées sera parfaitement identique à la précédente.
Il n'y aurait plus jamais d'albums en général. Plus personne ne ferait de musique. Ni de nouveaux films, ni de nouveaux romans, ni de nouvelles peintures.
Peut-être que la civilisation n'est qu'un déguisement sous lequel vivent d'affreux animaux.