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Un homme âgé, Saleh Omar, débarque en Angleterre pour demander l'asile politique muni d'un faux passeport et prétendant ne pas parler anglais. Il ne correspond pas au profil du migrant et il est pris en charge par une jeune femme qui va s'occuper de lui trouver un logement et se lier d'amitié avec lui. L'accueil des migrants est traité de manière sarcastique, d'autant plus lorsqu'il apparaît que le vieil homme est à la fois cultivé et bilingue. Installé dans une petite ville du bord de mer, il raconte les raisons de son exil, ses promenades dans les magasins de meubles et comment il s'est approprié la petite phrase de Bartleby " Je préfère ne pas".

Dans la deuxième partie du roman, sous la fausse identité de Rajab Shaaban Mahmud, il est mis en relation avec Latif, un universitaire exilé, fils du véritable Mahmud. C'est alors Latif qui prendra en charge la majeure partie de la narration. Il aborde la situation politique du Tanganyiaka, ancienne colonie allemande qui s'est unie avec l'île de Zanzibar, sous protectorat britannique. La question du colonialisme, de la persécution des communautés musulmanes, des alliances commerciales et des trahisons est mise en parallèle avec l'histoire plus intime d'une famille. Les rivalités, jalousies et mesquineries feront alors le lien entre les deux hommes qui partagent qui à la fois une histoire nationale et une histoire privée. Chacun interprète cette histoire commune à son avantage, apportant des informations complémentaires et des révélations étonnantes.

La plume d'Abdulrazak Gurnah est très littéraire et plutôt classique, avec une pointe d'auto-derision qui accentue l'humanisme de son roman. Quelques longueurs cependant dans l'histoire de la Tanzanie, lorsque l'on ne connaît pas tous les méandres.
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J'ai beaucoup aimé ce livre, la personnalité étonnante du premier narrateur, puis du second. Comment on passe de l'un à l'autre, comment la vérité, à supposer qu'il y en ait une, se nuance dans ce changement de sujet. Comment leurs histoires, qui sont aussi leur histoire, dans ce qu'elle a de commun, s'échangent à la faveur de l'exil. Peut-être le seul bien qui découle de ce mal? Comment une trame que l'on croyait crédible et sûre se fissure pour faire apparaître une nouvelle réalité, et comment le second protagoniste arrive à intégrer ces nouvelles données.
Et puis l'individuel est mis en perspective dans le collectif, la colonisation anglaise, la corruption et la dictature africaines, la corruption encore, à une petite échelle minable, des services de l'immigration européens, avec un fonctionnaire malhonnête qui dépouille un immigrant.
Tout ceci est raconté sans pathos, sans appuyer, mais ce qui doit glacer glace effectivement, et laisse imaginer tout ce qui n'est pas dit.
C'est un livre sobre et pourtant par moment les histoires familiales m'ont fait penser aux récits de l'Impasse des deux palais, à l'autre bout de l'Afrique. Une profusion, les familles élargies, les hôtes de passage accueillis pour le bon et le mauvais, etc. Et puis le retour au héros solitaire, et puis le début, peut-être, d'une amitié tardive sur un sol étranger?
C'est très bien.
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C'est l'histoire d'un bourgeois musulman colonisé britannique se sentant méprisé par les anglais qui fait onze ans de prison à la suite de l'indépendance et de sombres histoires de famille. Il aboutit finalement en …Angleterre, comme réfugié.
Il y a de plus en plus de bons livres écrits par des personnes émigrées ne se sentant vraiment à l'aise ni dans leur pays d'origine ni dans leur nouveau pays. Ce livre en est un exemple.
La narration est très distanciée. Les héros racontent comme dans un conte, comme si c'était le destin, ou le Prophète, qui décidait et qu'ils devaient suivre.
Livre très interessant, manquant peut-être un peu de flamme.
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Le Prix Nobel (2021) a fait connaître ce grand écrivain totalement inconnu ici et indisponible alors (les éditeurs se rattrapent depuis). J'ai donc exploré son oeuvre en anglais même si Près de la mer épuisé chez Galaad est réédité maintenant chez Denoël. J'ai adoré paradise et Afterlives qui racontent l'histoire de la Tanzanie du début du XX ème siècle  à l'Indépendance, le premier dans le regard d'un enfant-esclave, le second rappelle la colonisation allemande et le rôle des supplétifs africains dans la Guerre mondiale. 

Près de la mer aborde le thème de l'exil, un vieil homme arrive en Angleterre et demande l'asile, prétendant ne pas comprendre l'Anglais. Il s'est dépouillé de tout, de son identité et voyage sous le nom d'un autre. Seul souvenir de sa vie d'avant : un coffret d'encens qui lui est confisqué. L'encens donne un parfum d'Orient, de voyages très lointain (jusqu'en Indonésie) en passant par la Perse, l'Inde. A lui seul c'est un Conte des Mille et unes nuits dans la réalité très prosaïque de l'Angleterre des demandeurs d'asile. 

Il se trouve que le nom que l'exilé a choisi est celui du père du traducteur que les services sociaux ont trouvé pour communiquer avec celui qui ne parle pas anglais. Si la traduction s'avère totalement inutile, les deux tanzaniens se trouvent, et se reconnaissent. Leur histoire s'est croisée, autrefois. Loin de leur pays d'origine, ils prennent plaisir à reconstituer le puzzle de leurs histoires respectives. Histoires africaines, errances européennes. Un autre objet symbolique : une table marquetée joue un peu le même rôle que le coffret d'encens. Elle renvoie à un moment où le commerce des épices et des belles choses se faisait au rythme de la mousson et des alizés (trade winds) , du cabotage le long des rives de l'océan indien, Pakistan, Aden et Yémen - By the Sea....

Dans la réalité d'aujourd'hui se greffent des histoires anciennes, de commerce, de familles et dynasties, de pouvoirs et d'influences quand le pays est décolonisé. Chez Abdulrazak Gurnah, politique, littérature et contes orientaux s'entremêlent pour le plus grand plaisir du lecteur!
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Ils sont deux. Deux hommes africains, originaires d'une contrée considérée comme à l'autre bout du monde – le terme de Zanzibar fait toujours rêver - à se retrouver en asile au Royaume Uni.

Le premier porte un faux nom. Il se fait appeler Rajab Shaaban Mahmud, porte avec lui un sac de vêtements, un coffret en acajou qui recèle un bien précieux, et il est doté d'un conseil – bon ou mauvais on le saura plus tard : en dire le moins possible, et faire semblant de ne pas parler tandis qu'il maîtrise parfaitement la langue.

Le second est un peu plus jeune. Ironie de l'histoire – et on verra pourquoi par la suite – c'est le fils du vrai Rajab Shaaban. Il est arrivé un peu plus tôt au Royaume Uni et vit en tant qu'universitaire à Londres.

Abdulrazak Gurnah va nous faire vivre dans la tête du premier : qu'est-ce qui peut en effet pousser un homme de plus de 60 ans à tout quitter pour demander l'asile dans un pays dont il ne semble même pas parler la langue ? On comprendra plus loin que, après une vie de riche commerçant, il a fait de prison et aspire à la sérénité.

Ce sera ensuite le tour de Latif, d'abord appelé comme interprète pour traduire la langue de son compatriote, et surtout bien curieux de comprendre pourquoi l'homme qui lui fait face a emprunté l'identité de son père décédé.
Car les deux hommes, sans se connaître profondément, ont de forts liens communs.

On ne dira rien de ce qui les lie, pour ne pas divulgacher aux lecteurs le plaisir de lire ce conte qu'on pourrait croire issu des mille et une nuit.
Mais surtout on aura apprécié la langue : nul doute que c'est ce qui fait la force du récit de Abdulrazak Gurnah, couronné d'un Prix Nobel bien mérité.
En lui décernant le prix Nobel de littérature à l'automne 2021 pour les dix romans qu'il a publiés depuis 1987, l'Académie suédoise en effet souhaitait récompenser une oeuvre qui explore de manière « empathique et sans compromis les effets du colonialisme et le sort des réfugiés pris entre cultures et continents ». Bien vu.

L'écriture est ample, elle prend son temps, et cherche à décrire la subtilité des liens entre les êtres, fût-ce la haine ou le ressentiment.

On croisera aussi le personnage de Bartlleby que Melville a fait naître et qui restera célèbre pour son « je ne préfère pas ». Les deux hommes connaissent cette référence, qui a quelque chose à voir avec leur histoire à tous deux.

Peu de personnages secondaires (Rachel, qui s'occupe des réfugiés, un autre homme qui aura été providentiel pour l'asile politique) mais peu importe : c'est avec beaucoup de sagesse que l'auteur nous raconte ses vies que le destin forge de toute part.

Devenu spécialiste des études postcoloniales à l'Université du Kent, à Canterbury, aujourd'hui à la retraite, Abdulrazak Gurnah s'est intéressé à des écrivains comme Wole Soyinka, Salman Rushdie ou encore Conrad nous dit-on.
C'est quoi qu'il en soit une réelle découverte pour moi : ce roman sur fond de thématique très contemporaine ne devrait laisser aucun de ceux qui se soucient de littérature indifférent.

Lien : http://versionlibreorg.blogs..
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C'est - finalement, lorsque j'ai fini par y voir clair - un très beau livre. L'écriture est belle, mais la construction est compliquée, ce qui peut être une qualité si l'auteur aide suffisamment le lecteur à ne pas s'y perdre. J'ai probablement le cerveau un peu faible, en particulier quand je lis avant de m'endormir le soir, mais je dois avouer qu'au cours de ma lecture je me suis parfois demandé qui parlait, et à quelle époque.

En effet, le récit entremêle habilement les époques, et aussi le narrateur change, il faut être attentif à bien repérer les noms des personnages (d'autant plus que l'un prend le nom du père de l'autre...). Bref, j'ai terminé le livre en me disant que je n'avais pas bien compris qui était qui et à quel moment. Et c'est grâce à une semaine de Covid que j'ai pris quelques heures pour reprendre tranquillement tout le livre et reconstituer l'histoire. Quand elle s'est enfin éclairée, je l'ai trouvée magnifique.

Le livre nous emmène à travers plusieurs univers différents, tous passionnants à découvrir, mais qui nécessitent de fréquents recours à Wikipédia pour qui comme moi n'est pas familier de l'histoire de la Tanzanie (et l'aide de l'auteur dans ce domaine est très succincte). Nous voyageons en Tanzanie (Zanzibar, Tanganyka...) à différentes époques d'avant et après la révolution de 1964, participons aux disputes entre familles (avec beaucoup de détails juridiques auxquels on s'intéressera si on peut), nous découvrons les tensions entre africains, arabes et indiens dans ces régions, et le récit de l'emprisonnement jusqu'à un séjour extraordinaire dans une île est passionnant. Puis c'est l'exil vers l'Angleterre (dans d'assez bonnes conditions, comme ce fut d'ailleurs le cas pour l'auteur dans la vie réelle), et en trame générale du livre une étonnante histoire de deux "ennemis" d'autrefois qui se retrouvent et s'entraident.

L'auteur a émigré en Angleterre à 18 ans, il s'y est très bien intégré et est devenu professeur de littérature (avec une spécialité pour les études post-coloniales) à l'Université de Kent. Il écrit en anglais, il explique que le swahili ne lui offre pas les mêmes possibilités d'expression. Mon sentiment est que finalement il nous parle de l'Afrique d'assez loin. On trouvera 2 émissions récentes sur lui sur France Culture (La grande table), très intéressantes, et une sur France Inter (Boomerang) où il est plus politique, et développe une critique post-colonialiste qui n'est pas totalement originale. Cela m'a fait penser que le Prix Nobel de Littérature, qui a couronné son oeuvre en 2021 (une dizaine de livres si j'en crois Babelio, dont 3 disponibles en français), ne se contente pas seulement de saluer une oeuvre littéraire, mais aime aussi à se situer dans les grands questionnements de l'air du temps.
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Saleh Omar arrive clandestinement à Londres avec un faux passeport au nom de Rajab Shaaban Mahmud. A 65 ans, il a quitté Zanzibar et demande l'asile avec dans son petit bagage de l'ud-al-gamari (encens). Il prétend ne pas parler anglais. C'est son histoire, celle de sa famille, son commerce et ses relations avec les colons que raconte la première partie "Reliques". La 2ème est consacrée à Latif, censé lui servir d'interprète. Installé lui aussi en Angleterre il a fui Zanzibar à 18 ans et a coupé les liens avec sa famille. Il est le deuxième fils de Mahmud. Pourquoi Saleh a-t-il le passeport de son père aujourd'hui décédé ? La troisième partie fait le lien entre leurs deux récits et reconstitue le passé.
Ce roman est riche d'anecdotes, d'évènements et de tractations financières où l'on se perd un peu. Mais les références littéraires ( Melville- Skakespeare ) et en filigrane l'histoire de la Tanzanie sont judicieuses et donnent à réfléchir sur les conséquences du colonialisme.
Je retiens de cette lecture les différentes sensations, les odeurs surtout, les rites religieux et les habitudes culturelles de l'île. L'auteur s'intéresse aux statuts de réfugiés et ses personnages affrontent de nombreuses épreuves avec une grande dignité. C'est très beau.
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Un roman raconté à deux voix, qui mêle passé et présent, qui parle de deux personnes venues de Zanzibar et arrivées comme réfugiés en Angleterre dans des circonstances différentes.
J'aime ces romans qui prennent leur temps pour dérouler une histoire petit bout par petit bout. Chacun des personnages raconte, en prenant son temps, la vie à Zanzibar et puis la succession de faits qui vont les mener sur la route de l'exil.
J'ai adoré ces deux premières parties qui sont magnifiquement écrites, dans lesquelles chaque phrase est un régal et l'histoire s'agglomère petit à petit.
La troisième partie est celle la plus intéressante sur l'histoire de Zanzibar et de la Tanzanie après l'indépendance, en tout cas pour moi qui n'y connaît pas grand chose. Malheureusement pour moi cette troisième partie ne possédait pas la même magie que les deux premières et m'a beaucoup moins plu que les deux premières.
Ce livre reste cependant une magnifique découverte.
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Coloré, empli d'humour et de discrètes références littéraires, ce roman est d'une beauté chamarrée, singulière, tourbillon d'encens, d'épices et de couleurs. Livre-voyage, Près de la mer emporte en Tanzanie ou plutôt à Zanzibar, entremêle les existences, les destins, aborde l'Histoire de ce pays et les influences venues d'ailleurs, évoque les tractations financières des uns, les revanches amères des autres, dans une judicieuse construction croisée (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/06/15/pres-de-la-mer-abdulrazak-gurnah/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Saleh Omar, un homme de 65 ans originaire de Zanzibar, vient à Londres, demander l'asile politique. Il le fait avec un passeport au nom d'un autre. Son chemin va croiser celui d'un homme venu du même pays, Latif Mahmud, le fils de l'homme dont il s'est approprié l'identité. L'histoire des deux hommes est intimement liée, et leur rencontre leur permettra de mettre à plat tout ce qu'ils ont vécu.

C'est un livre d'une grande puissance, dans tous les registres, en particulier dans l'écriture et dans la construction narrative. le livre a une trame romanesque très forte, le lecteur a envie de savoir ce qui s'est passé. L'alternance entre les deux histoires, qui paraissent prendre des chemins différents, mais qui sont très prenantes toutes les deux, est très habile. Il y a comme une sorte de grossissement progressif : dans un premier temps, nous avons quelques éléments sur la vie de Saleh Omar, relativement résumés, cohérents en soi, presque suffisants, même si l'auteur glisse quelques remarques qui laissent entendre qu'il y a plus que cela. Et au fur et à mesure, le récit se déroule, devient plus détaillé, et nous comprenons de mieux en mieux. Tout s'accompagne d'une empathie de plus en plus grande avec le personnage, qui au départ n'était pas particulièrement sympathique, mais dont nous comprenons mieux la nécessaire mise à distance.

Tout cela sur fond de l'histoire de Zanzibar, au combien compliquée. Parce que la colonisation anglaise n'a été au fond qu'un épiphénomène d'une durée relativement courte. Il y a eu d'autres occupations, des échanges culturels et commerciaux nombreux, qui ont abouti à des mélanges de populations et une culture particulière. Mais tout cela ne s'est pas passé et ne se passe pas dans l'harmonie et dans la concorde. Les rancunes sont tenaces, et les groupes jadis méprisés peuvent vouloir réparation voire vengeance. Comme les individus.

Nos deux personnages principaux n'ont d'autre choix que devenir des errants, leurs vies perdent en grande partie leur sens dans le déracinement, aucun futur n'est réellement envisageable. le retour est impossible, mais on ne les désire pas vraiment là ils ont échoué.

C'est réellement un livre magistral, très noir sans doute, mais aussi très beau, avec un art du récit, par moments presque inspiré des Mille et une nuits, mais aussi d'une grande modernité, cartographiant le monde actuel avec acuité. Très sensible malgré sa grande intelligence, mais sans aucune trace de sensiblerie.

Une très grande découverte pour moi.
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