Il fallait continuer à avancer, avancer à travers la furie et l'horreur.
« Cette double vie entre la rue et la bibliothèque me plaisait bien. Elle m'éloignait de mon étouffante maison, pour commencer. Je n'avais personne à qui parler de mes lectures. Autour de moi, personne ne lisait. Les adultes étaient ennuyeux à crever, ils ne parlaient que politique. C'était le seul horizon. Un aveuglement total, asphyxiant, auquel j'étais obligé de tourner le dos. »
-Tu me sembles être un artiste. Tu t'exposes à beaucoup souffrir, donc. Trop d'esprit dans un monde au matérialisme brutal. Les lauriers vont aux sportifs et aux hommes de science. Pour les humanistes, c'est la guillotine.
Il fallait que j'oublie mes chimères romantiques, que je pose les pieds sur terre, ou alors ils allaient me détruire. Celui qui ne se sert pas de ses crocs et de ses griffes, sans pitié, finit en chair à canon, ou à nettoyer les chiottes.
Les idées interdites sont restés là, au plus profond, dans l'obscurité. A faire leur nid. Le nid du serpent.
« La vie militaire était trop. Six mois à couper la canne, puis six mois d'entraînement pour gladiateurs, avec manœuvres en montagne, exercices de tir, séances de sport. »
« Contrôle ! Discipline ! Ordre ! C’est comme ça, maintenant. »
Dès l’âge de huit ans, j’avais découvert près de chez nous une bibliothèque publique absolument parfaite, et sans personne ou presque. C’était un monde à part, le moyen rêvé d’oublier tout le merdier ambiant. Il y avait l'air conditionné, ça sentait la lavande. Je lisais des tas de livres à la fois, mais je les choisissais au pif. Une main magique me guidait le long des rayonnages jusqu'à Truman Capote, Faulkner, Erskine Caldwell, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Nietzsche, Wright Mills, Sherwood Anderson, Carson McCullers, Hermann Hesse, Dos Passos, Hemingway. Que des écrivains tourmentés par leurs obsessions et leurs fantasmes. »
Personne ne comprenait vraiment ce qui se passait et où on allait avec ce merdier. La ville était comme un bateau à la dérive qui donne de la bande dans la tempête. »
- On ne m'appellera plus 'le Senor' avec cet air révérencieux qu'ils prennent tous, mais 'la tantouze aux beignets'. 'La vieille Pédale'. Ha, ha, ha ! Et je serais là, oui, sale, hirsute, puant le saindoux ranci. Mais toujours joyeux, toujours le sourire aux lèvres. Je tomberais avec dignité mon cher poète. Moi aussi, j'ai la poésie en moi. Et c'est ce qui me sauve. Ce que la vie réserve, je le reçois toujours avec amour et humilité