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Critique de Charybde2


Politique, crime et secrets familiaux dans la bonne ville de Brighton, sur plus de soixante ans : une somptueuse saga policière et humaine.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/11/09/note-de-lecture-la-trilogie-de-brighton-peter-guttridge/

Brighton, Sussex, années 1930 : sur fond de guerres des gangs que ne renieraient pas les « Peaky Blinders » de Steven Knight, de crise économique galopante, de corruption généralisée et de montée des périls fascistes en Europe, deux crimes qui seront appelés rapidement par les échotiers puis par la grande presse les « meurtres à la malle », même s'ils ne sont visiblement pas liés entre eux, défraient la chronique et restent non résolus.

Brighton, Sussex, années 1960 : alors que la station balnéaire à la mode durant l'entre-deux-guerres est devenue une précieuse annexe de ce qui se dessine alors comme le Swinging London, et que des groupes de musiciens rock et pop s'y démènent pour percer, dans l'aspiration de quelques locomotives britanniques se préparant à un envol planétaire, du ménage s'effectue discrètement dans de vieilles archives policières, le braquage d'un train postal défraie la chronique, des familles criminelles disparaissent tandis que d'autres jusqu'alors plus souterraines se préparent à changer d'échelle, et quelque chose se répand sans que l'on n'y prenne forcément garde.

Brighton, Sussex, années 2000 : dans l'un des quartiers les plus mal famés de la grande ville redevenue brillamment touristique, multi-universitaire et désormais quasiment high tech, l'opération de capture d'un braqueur très dangereux tourne au fiasco mortel, entraînant la démission forcée du brillant chef de la police qui entamait à peine l'indispensable réforme d'une institution locale probablement solidement gangrenée par le crime organisé et les compromissions diverses. Mais ce fiasco en était-il vraiment un, ou bien le signe de tout autre chose ?

En trois volumes, trois époques mêlées et irrémédiablement associées, par le jeu des histoires de famille, des transmissions incomplètes, des secrets soigneusement dissimulés, des amitiés et des amours, des menées politiques et des appétits marchands, l'ombre formidable d'une ville prend forme, et semble se dessiner distinctement avant d'exploser en un feu d'artifices inextricables, pour notre plus grand plaisir de lectrice ou de lecteur.

Longtemps journaliste indépendant spécialisé dans la chronique littéraire (il exercera notamment à l'Observer de 1999 à 2011), Peter Guttridge a déjà six romans policiers à son actif lorsqu'il se lance dans cette trilogie peu banale en forme d'hommage ambigu à sa ville adorée, en 2010-2012. « Promenade du crime » (2010, traduit en 2012), « le dernier roi de Brighton » (2011, traduit en 2012) et « Abandonnés de Dieu » (2012, traduit en 2014) composent, en un peu plus de 1 000 pages que l'on lira en français au Rouergue, et désormais en poche (Babel Noir), grâce à la solide traduction de Jean-René Dastugue, une plongée dans trois quarts de siècle d'histoire (sous les angles associés de la politique et du crime, comme eût pu l'écrire Hans Magnus Enzensberger, et à travers des prismes humains et familiaux dangereusement proches, pour notre confort mental, de ceux magnifiquement utilisés ailleurs par le Bob Shacochis de « La femme qui avait perdu son âme ») d'une ville britannique d'apparence presque banale et pourtant fort singulière.

L'impressionnant projet conduit ici par Peter Guttridge ne peut pas se comparer directement à l'inventivité langagière et à la narration multiple et psychotique développée par David Peace pour son « Quatuor du Yorkshire » (1999-2002), mais il manie comme lui, avec une redoutable efficacité et cette fois sur plus de soixante ans, l'inscription d'affaires réelles, élucidées ou non, très célèbres ou moins connues, dans une trame intime et familiale construite en un venimeux assemblage de fusées à plusieurs étages, qui parviennent à être résolument poignantes tout en demeurant délibérément et avant tout factuelles. En y ajoutant des résonances extraites de vies quotidiennes passablement névrosées (par moments, on craindrait presque de croiser le Bunny Munro de Nick Cave au détour d'un trottoir de Brighton) et de malicieux (et extrêmement efficaces) clins d'oeil à la communauté britannique du renseignement et des forces spéciales telle qu'elle apparaît chez John le Carré, Len Deighton ou Charles Cumming, on obtient un cocktail de haute volée qui relie avec brio des données et des vies que l'on aurait jurées étrangères les unes aux autres pour un résultat captivant, dont l'excellent blog polar de Velda nous parle magnifiquement ici et ici.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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