Elle mangea en silence, le cœur au bord des lèvres, les yeux perdus dans le vague, se laissant peu à peu envahir par la tranquillité artificielle. Elle partait bosser à huit heures, d’ici là elle serait parée à jouer son rôle social fait de sourires faux, de poignées de mains et de conversations creuses. Lorsque vous étiez un être humain mentalement traumatisé, il était de bon ton de le dissimuler pour ne pas voir fuir les autres comme un troupeau de gnous face à un feu de brousse. Ce n’est pas qu’elle chercha à tout prix la présence d’autrui, bien souvent le jeu social lui nuisait plus qu’autre chose, mais il était nécessaire de se constituer un masque pour conserver le plus élémentaire, tels un boulot et un minimum de tranquillité.
- Ce que j'aime chez les enfants, c'est leur innocence, cette candeur leur donnant l'impression de vivre au sein d'un monde merveilleux où tout reste à découvrir. Détruire une à une leurs illusions, les voir se replier sur eux-mêmes, alors que vous soufflez leur petite âme comme la flamme vacillante d'une bougie. Voilà ma vraie jouissance !
La petite fille aux cheveux sales observe tout, cachée derrière un buisson. Des mains adultes se posent sur ses maigres épaules, une voix masculine murmure à son oreille :
- Notre nom est Légion, appelez-nous ainsi, car nous sommes plusieurs. Les monstres ne meurent jamais, petite.
Tous les jours auraient été promesse de festin sans que la lourde épée de Damoclès appelée justice ne menace de lui tomber sur la tête.
Un nouveau coup fut porté sur le genou blessé, les éclats d'os dechirèrent la chair tuméfiée. Parker poussa un long hurlement étouffé, des larmes jaillissant de ses yeux exorbités par la souffrance.
Bientôt le marteau céda la place à la perceuse sur accu, alors commença le martyre de Lawrence Parker.
Après tout c'était dans l'ordre des choses, le prédateur se nourrissait du troupeau depuis la nuit des temps.
Elle était littéralement à bout de nerfs, prête à exploser. Elle colla le bout rougeoyant de sa cigarette sur la peau délicate de sa nuque, gémissant sous le coup de la suave douleur lui inondant le cerveau. Elle frissonna, sentant la colère refluer au tréfonds d'elle-même.
"Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas ... "
Elle voyait distinctement les êtres monstrueux dissimulés sous la pellicule fragile de l’ humanité : l es pédophiles, les ogres, les assassins, les violeurs, les fanatiques , se révélaient sans artifice à ses yeux horrifiés.
Anxiolytique, antidépresseur, neuroleptique et antipsychotique formaient le quatuor gagnant permettant à la jeune femme de fonctionner presque normalement au court de la journée.