Un ouvrage qui va décevoir tout lecteur lovecraftien, et ne parviendra probablement pas à satisfaire les lecteurs en recherche de sensations fortes liées à l'occultisme et à la magie.
Avant de commencer cette critique, je tiens à signaler que j'ai reçu cet ouvrage dans le cadre d'u
ne masse critique (merci!). D'ordinaire, je suis très satisfait par la qualité des ouvrages que je reçois, même lorsqu'ils sont en version "pré-publication". Ici, pourtant, L'Ivre-Book m'a surpris très négativement, avec un ouvrage vraisemblablement non-relu, et avec une mise en page chaotique. Des erreurs d'orthographe incompréhensibles comme "Chtulhu" (deux fois sur la page 81), des paragraphes non mis en forme et une ponctuation sérieusement questionnable, me semblent tellement ahurissante, surtout de la part de L'Ivre-Book, que j'ai vraiment pensé avoir une version reliée du premier jet du manuscrit de l'auteur. C'est peut être le cas:
Frédéric Gynsterblom est décédé en 2017, ce qui a pu impacter l'édition de cet ouvrage. C'est vraiment dommage, car en l'état, les défauts intrinsèques de l'oeuvre sont encore plus renforcés par les défauts de l'édition elle-même.
Par-Delà le Gouffre des Etoiles n'est pas un recueil lovecraftien, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Trois choses le disqualifient absolument pour être considéré comme tel: d'abord,
Frédéric Gynsterblom décrit méticuleusement l'horreur qu'il met en scène, dans tous ses terribles détails. Cela donne des images percutantes et fortes, c'est vrai, et c'est efficace lorsqu'on lit un petit morceau d'histoire à la fois. On aboutit à un effet de saturation, en revanche, lorsqu'on a une lecture soutenue, rythme d'ailleurs imposé par la narration elle-même: l'auteur ne laisse pas vraiment de répit dans son histoire, ce qui oblige à poursuivre la lecture dans un temps relativement court pour ne pas se perdre.
Ensuite,
Frédéric Gynsterblom ne se base pas sur les récits lovecraftiens eux-mêmes (écrits par
Lovecraft ou ses héritiers), mais sur le "Nécronomicon" (et d'autres ouvrages du même type), un ouvrage pastiche de "magie" rédigé dans les années 1970 et reprenant les éléments centraux du Necronomicon lovecraftien, dans un corpus magico-ésotérique très éloigné de l'univers véritablement lovecraftien. Les incantations, le vocabulaire, les noms, tout y est, certes. Mais le résultat n'est qu'une imitation, presque une escroquerie, même si cela donne de beaux ouvrages à exposer sur une bibliothèque. Ce qui, chez
Lovecraft, n'est "magie" que parce que l'esprit humain n'en comprend pas la "science", devient dans les récits qui composent
Par-Delà le Gouffre des Etoiles une véritable science ésotérique, ce qui trahit l'esprit originel. Cela n'est pas en soi un défaut, bien sûr, d'autant que l'auteur a visiblement quelques connaissances de ce dont il parle. Mais c'en est un quand le récit n'est plus focalisé sur la recherche de la clé de compréhension de cet univers ésotérique, et devient un prétexte à balancer au visage du lecteur des formules et des mots, voire des concepts, sans se préoccuper de savoir si les bases de compréhension sont présentes. Chacun de ces récits aurait dû être développé, et prendre beaucoup plus son temps pour amener le lecteur "au-delà du gouffre". J'ai trop eu la sensation désagréable que le lecteur était ici poussé dans le gouffre...
Enfin, le dernier point concerne la sexualité, omniprésente dans ce recueil. Elle ne me pose pas de problème, en principe (je lis volontiers
Sade et ses émules), mais ici elle m'a semblé beaucoup trop centrale. Chez
Lovecraft, elle était absolument absente, et n'a pas sa place dans la mythologie qu'il a créé. Dans ce recueil, elle n'est pas seulement au centre de l'histoire, elle en devient presque le prétexte.
Alors évidemment, ce n'est pas parce que des histoires s'inscrivant dans l'univers lovecraftien étendu ne sont pas réellement lovecraftienne qu'elles en sont pour autant mauvaises. Et il y a de très bonnes idées dans
Par-Delà le Gouffre des Etoiles, comme ce mix vaudou/Mythe qui offre un certain exotisme à un univers qui paradoxalement s'y référait de manière éludée. le thème du Temps abordé sous ses aspects "nécronomiconiques" est également très intéressant.
L'exécution de ces idées, en revanche, est un peu faible. Les histoires de
Frédéric Gynsterblom sont mal servies par des dialogues très basiques et un peu caricaturaux parfois (des points d'exclamation un peu trop récurrents, et des "!!!" qui n'ont pas grand chose à faire dans un récit), ainsi que par des enchainements trop rapides. Certains aspects de ces histoires souffrent par ailleurs d'un manque criant de recherches en amont, et je l'ai vraiment ressenti à la lecture. Ces défauts et faiblesses (et les quelques petites choses que je n'évoquerais pas ici) sont des défauts de jeunesse qui auraient pu être résolus et corrigés si l'auteur n'était pas malheureusement décédé.
Mon expérience de lecture a commencé par un énorme enthousiasme, qui s'est cependant érodé au fil des pages, jusqu'à devenir une véritable lassitude. L'effet de saturation des effets descriptifs et narratifs donne au final un recueil très moyen, qui peut agacer par certains côtés tout en laissant un goût doux-amer en raison des bonnes choses qui le traversent. Les défauts d'édition, cependant, m'amènent vraiment à contrecoeur à enlever une étoile à cette note moyenne. J'espère qu'une deuxième édition de cet ouvrage corrigera le tir, au moins sur le plan éditorial.