Corps désirable

Lui-même était devenu pauvre, presque impécunieux: à peine de quoi acquitter le loyer d'un cent mètres carrés rue du Regard et s'offrir les meilleurs whiskies single malt.

Il prenait un malin plaisir à agrémenter de coquilles certaines dépêches sans qu'on lui en portât grief, par mansuétude ou franche incompétence. Son orthographe irréprochable lui autorisait ces petites fantaisies en un temps où il fallait corriger subjonctifs, accords du participe passé et noms à double consonne d'à peu près tout le personnel rédactionnel, à commencer par la direction.

C’était presque l’été encore dans les vallées intérieures où un soleil d’aube ouvrait des perspectives éblouies vers l’horizon, tandis qu’à trois mille mètres d’altitude, entre deux saisons, l’haleine glaçante des sommets tombait sur les alpages et les forêts penchées.

Dehors, en quête d’un taxi, Lorna poursuivit mentalement l’invective. On l’avait instruite peu de jours avant l’accident de la véritable identité de son compagnon. Un courriel anonyme et sans doute malveillant dont elle avait dû assez vite admettre la justesse. Cette révélation glaçante s’était insinuée en elle jusqu’à lui inspirer la décision de rompre.

En quête de ses vêtements épars, elle tourne sur elle-même dans la clarté du petit jour. Les seins et les hanches élastiques remuent sous la pluie sombre des cheveux. Sa nudité a la splendeur d'un seul tenant des Vénus de marbre. Il ne manque rien à sa perfection, pas même les pieds nus et les mains de l'Aphrodite.

On ne se suicide que pour mieux vivre.

L'épuisement et l'anxiété, chez les très belles femmes, avaient le charme du renoncement.

Il avait du mal à déterminer la frontière des cinq sens ; les couleurs de l'été avaient un goût de sève et les bruits échauffaient sont épiderme, même les odeurs envahissaient son champ auditif ou visuel.

Sans conscience, paralysé, ce corps qu'elle connaissait si bien, plus que le sien même, s'abandonnait au vide antérieur, là où toutes les identités se résorbent.

Allez donc trouver Mme Leer dans la salle d'attente, racontez-lui ce que bon vous semble. Il y a des situations où donner de l'espoir aux gens ou les désespérer s'équivaut...