Je les ai fait venir pour porter le piano au Mont-de-Piété. Ce n’est pas une mauvaise idée de nous en débarrasser. On aura plus de place pour se remuer et plus d’argent en poche.
– Je vous déclare avec obéissance, monsieur l’aumônier, que je ne sais pas du tout comment je suis arrivé ici (prison). Mais je ne me plains pas d’y être. Seulement, j’ai la guigne. Je n’ai jamais que de bonnes intentions et, à la fin du compte, tout tourne mal, je suis un vrai martyr comme celui de ce tableau.
– ... Les soldats comme vous, j’en ai vu des centaines et des centaines ! Sur ces lits, il y a eu des tas de gens dont la seule maladie était le manque d’esprit militaire. Tandis que leurs camarades font la guerre, ils s’imaginent qu’ils n’ont qu’à se pieuter dans leurs lits et à bien manger à l’hôpital, en attendant la fin de la guerre.
Le colonel avait expressément défendu aux soldats de lire n’importe quoi, même la Gazette officielle de Prague, et à la cantine ils avaient l’ordre de ne plus emballer le fromage et les saucisses dans du papier de journal. Mais c’est justement ça qui a eu un effet épatant : figurez-vous que tous les soldats se sont mis à lire tout le temps, et notre régiment est devenu le plus instruit et le plus intelligent.
Alors, tout de suite, Bretschneider a pris son carnet et a dit : « Tiens, tiens, encore une nouvelle forme de haute trahison » et il est parti avec le tapissier qu’on n’a plus jamais revu.
– Il y en aura des tas qu’on ne reverra plus, dit Chvéïk ; donnez-moi un rhum, s’il vous plaît.
En sortant de la brasserie Au Calice en compagnie du détective, Chvéïk, dont le visage ne cessait de rayonner de bonté souriante, questionna :
– Est-ce que je dois descendre du trottoir ?
– Pour quoi faire ?
– Je me demande, comme je suis arrêté, si j’ai encore le droit de marcher sur le trottoir…