Il est minuit. Non, beaucoup plus tard. Cette heure de la nuit où le monde est enténébré, et le froid si intense que c'est comme si l'humanité tout entière se retrouvait au fond d'un puits.
Une femme sage a des choses à dire, mais garde le silence.
— Tu penses que si nous avions plus, nous pourrions vivre mieux. Mais nous perdons certaines choses à force d’en avoir trop.
— On en perd aussi si l’on en a trop peu.
Je vais monter à bord, baisser la tête, laisser le train m’emmener dans un autre tunnel, à travers un autre monde souterrain – sous la Manche. Je finirai bien par émerger dans la lumière.
Nous ne prenons pas le temps de nous dévêtir quand nous sommes dans nos ébats passionnés, rapides et intenses. Plusieurs fois, nous ne nous sommes même pas déshabillés, trop pressés d’être l’un dans l’autre. Parfois, je rentrais chez moi en guenilles, chérissant cette sensation de débauche sensuelle qui embellissait mon trajet du matin parmi les banlieusards, lesquels, j’aimais à l’imaginer, n’avaient jamais connu de passion comme la nôtre. Je goûte secrètement le fait que nous sommes uniques dans notre désir charnel.
Que vivre seule dans un pays étranger où l’on ne sait ni lire ni écrire la langue vous donne l’impression d’être un enfant vulnérable et hésitant. Quand vous ne savez pas à qui faire confiance, que vous pensez que les autorités se méfient de vous, au point que vous rasez les murs dans l’espoir de ne pas vous faire remarquer ?
C’est mon plaisir secret. Je ne l’avouerai jamais à mes amies obsédées par les derniers produits bio à la mode, toutes scotchées à des émissions culinaires le soir, ou au régime. Donnez-moi du pain de mie et du fromage à tartiner, et je suis au paradis.
Le monde n’est pas, finalement, comme je le croyais. L’air n’est pas un espace vide : il peut contenir jusqu’à la grosse carcasse de fer et d’acier qu’est un avion rempli de passagers.
On ne traverse pas le monde pour faire des ménages par plaisir.
Si l’on ferme les yeux, on pourrait presque se croire au bord de la mer ici. Je savoure la chaleur du soleil sur mon visage, le bruit des vagues sur le rivage, le cri des mouettes. Pourtant la vue possède sa propre beauté : les pointes noires sur les balustrades évoquent celles d’une vieille église, de l’autre côté du fleuve, qui lui-même reflète le Gherkin en miniature.