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Citations sur Histoire d'enfant (26)

Le désespoir peut-être dissimulé par les grands de bien des manières, mais celui d'un enfant on le remarque de toute façon : et voir un enfant désolé était insupportable.
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Ce qui est beau, on le voit si mal.
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Dès la fin de l’hiver suivant, donc au milieu de l’année, ce fut le premier jour d’école de l’enfant. L’adulte ne l’avait pas prévu, cela se fit ainsi. Et il se trouva que l’école était aussi quelque chose de particulier. Elle n’était destinée, en réalité, qu’au seul peuple à qui l’on pouvait donner ce nom et dont il avait été dit déjà, longtemps avant sa dispersion dans tous les pays du monde, que même « sans prophètes », « sans rois », « sans princes », « sans sacrifices », « sans idoles », et même « sans nom », il resterait encore un peuple, et auquel, selon le mot d’un exégète ultérieur, il faudrait s’adresser pour connaître « la tradition », « la loi la plus ancienne et la plus rigoureuse du monde ». C’était le seul peuple dont l’adulte eût jamais souhaité faire partie.

(p. 60, L’Imaginaire/Gallimard)
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Jusqu’alors le sentiment fondamental qu’il avait éprouvé pour l’enfant, avant même toute inclination, avait été une confiance pleine et enthousiaste en lui. Sans jamais avoir eu d’opinions sur les « enfants » en général, il avait foi en cet enfant précis. Il était convaincu que cet enfant incarnait une grande loi qu’il avait lui-même oubliée ou n’avait jamais connue. Dès le premier instant, ne lui était-il pas apparu comme le maître auprès duquel il pourrait apprendre ? Ce n’était pas à toutes ces expressions du « langage enfantin » qu’il croyait, mais à sa seule présence : cet être humain qui était, qui était ce fait d’être. Et ce seul fait donnait à l’adulte la mesure de la vérité, la mesure d’une vie telle qu’elle devait être. Pour cela on pouvait vénérer l’enfant en toute objectivité ; et parfois on laissait monter aux lèvres ces mots mêmes que jusqu’alors au cinéma on avait fait mine de ne pas entendre, c’était du pathos, on les avait sautés à la lecture des vieux écrits parce que inusités et qui se révélaient maintenant être les mots les plus réels du monde. Quels étaient donc ces étourdis qui osaient prétendre que ces grands mots étaient « historiques » et qu’avec le temps ils perdaient leur sens ? Ne confondaient-ils pas, à force d’aveuglement ou de tiédeur et de torpeur, les mots et les phrases entières ? Comment vivaient-ils, ces modernes, et avec qui ? Et qu’avaient-ils oublié une fois pour toutes pour n’entendre plus que le langage de la petitesse qui a pourtant une si grande gueule et qui est tout autre chose qu’objectif ? Pourquoi donc toutes ces tournures actuellement en usage dans les débats publics, les journaux et la télévision mais aussi dans les livres nouveaux, même dans les relations les plus personnelles, étaient-elles puantes de banalité, assassinaient-elles l’âme, arrachaient-elles les nerfs et déchiraient-elles le cerveau comme des noms de chien ? Et pourquoi donc, de partout, la langue creuse d’une ère de fer-blanc résonnait-elle ? C’est à sa fréquentation de l’enfant en tout cas que l’adulte devait de mieux saisir de jour en jour ces grands mots tant honnis ; grâce à eux on ne se trompait pas. Ils conduisaient à de hautes plaines toujours nouvelles et chacun pouvait venir : la seule condition était « la bonne volonté » et la conviction de « l’absolue nécessité ».

(p. 50-51, L’Imaginaire/Gallimard)
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Ὄρσο, τέκνον,
δεῦρο πάγκοινον ἐς χώραν
ἴμεν φάμας ὄπισθεν

(p. 104, L’Imaginaire/Gallimard, vers extraits de l’Olympique VI de Pindare)

« Debout, enfant,
par ici, à la terre commune à tous
viens en suivant Ma rumeur. »

(Pindare, "Œuvres complètes" - Traduction de Jean-Paul Savignac, Éditions La Différence, collection Minos, p. 101)
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- À la fin de l’hiver, un voyage en bus dans une vallée de montagne ; seuls passagers des enfants, étrangement silencieux, retour de l’école ; ils descendent isolément ou par petits groupes et disparaissent sur la route ou dans les chemins de campagne ; début du crépuscule, giboulées de neige, cascades gelées ; par la portière ouverte, brièvement, le chant alterné de deux oiseaux, dehors, dans le froid, d’une tristesse, d’un effarement incroyables et d’une telle beauté qu’en les entendant il est pris du désir de retenir cette plainte pour toujours et d’écrire de la musique. - Au printemps suivant, au cours d’un voyage en train à travers une vallée mouillée et triste, il voit un enfant marcher avec agilité le long des voies et il peut lui parler en pensée : « Sois loué, enfant inconnu au pas bondissant. » - Et puis un autre trajet en car - encore presque uniquement des enfants, dans le crépuscule, puis c’est l’obscurité -, et cette phrase, presque involontaire : « Peut-on sauver les enfants ? »
Car, au fil du temps, le voyageur crut reconnaître que quelque chose manquait à tous sans exception et qu’ils attendaient tous quelque chose. Les nourrissons qu’il voyait dans les avions, les salles d’attente ou ailleurs n’étaient pas simplement « couinards » ou agités mais leurs cris venaient de très profond. - Des paysages les plus calmes s’élevaient bientôt, en règle générale, les hurlements de détresse d’un être qui, quelque part, appelait les siens. Mais les enfants, c’était visible, avaient aussi besoin des inconnus qui venaient à leur rencontre : les yeux grands ouverts et cillant à peine qui, à mi-hauteur des adultes, percevaient chacun isolément, si grande que pût être la foule, et cherchaient une réponse (et le passant pouvait être sûr qu’à lui aussi ils jetteraient un regard secourable), ces yeux, dans la presse des boulevards, des supermarchés et des métros, étaient chaque fois la seule certitude.
Il en fut sûr alors : les « temps modernes » qu’il avait si souvent maudits et rejetés n’existaient même pas ; la « fin des temps » n’était, elle aussi, que fantasme : avec chaque nouvelle conscience s’ouvraient des possibilités toujours pareilles, et les yeux des enfants dans la foule - regarde-les donc ! - transmettaient l’esprit éternel. Malheur à toi qui manques ce regard.
Un jour, il se trouve au musée devant le tableau légendaire qui représente le massacre des Innocents de Bethléem : un enfant dans la neige lève les bras vers sa mère, le pied replié en arrière, en fichu et en tablier ; le soudard, l’index recourbé, le saisit déjà ; et le spectateur, comme si tout cela arrivait à présent, pense mot pour mot : « Cela n’est pas possible », et pour sa part il en prend la résolution : la tradition sera différente.

(p. 93-95, L’Imaginaire/Gallimard)
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L’adulte n’avait jamais vu les enfants, dans leur ensemble, que comme un peuple étranger ; parfois même comme cette tribu adverse cruelle et implacable « qui ne fait pas de prisonniers » - barbare, sinon même cannibale ; et si elle n’était pas ennemie du moins était-elle infidèle, inutile et, pour ceux qui n’avaient pas d’autre fréquentation que celle de ces meutes et de ces hordes que n’animait aucun sens commun, elle finissait à la longue par être abêtissante et par leur vider l’esprit. Et son propre descendant n’échappait pas à ce jugement. Mais pendant cette année-là, d’absence et de travail, passée presque tout entière en voyage, dans les divers continents, les enfants devinrent tous ses grands recours sans rien avoir fait pour cela de particulier. Ils sont les « inconnus » qui le « saluent » ; ce sont eux qui ont empêché son regard d’aller trop loin et de se perdre. L’un d’eux, à une heure critique, se tient à la porte de l’homme : il s’est trompé d’étage ; et sa vue c’est le dérangement au moment opportun et qui donne son élan à tout ce qui va suivre, comme le ferait une musique de caravane.

(p. 92-93, L’Imaginaire/Gallimard)
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Dépouillé de son esprit il ne se possédait plus et l’angoisse, en outre, le privait de volonté. Et vint le jour de la faute et l’heure de l’enfant. Après une nuit de pluie - on était déjà au cœur du printemps - la partie basse de la construction neuve se trouva remplie d’eau. C’était déjà arrivé plusieurs fois et ce matin-là le niveau était plus haut que jamais : une véritable inondation (après les lettres d’usage, inutiles, « à une entreprise en bâtiment »). Ivre de sommeil, l’homme fixait l’eau brunâtre avec des idées de meurtre. D’en haut, l’enfant qui n’arrivait pas à se débrouiller avec quelque chose appelait encore et encore, toujours plus pressant, criant finalement sur un ton de catastrophe. Alors l’adulte, debout dans l’eau jusqu’aux genoux, perdit le sens : il se précipita en haut de l’escalier comme un meurtrier et frappa l’enfant de toute sa violence, comme il n’avait encore jamais frappé personne, au visage. L’épouvante vint presque en même temps que l’acte. Il porta l’enfant en pleurs, lui-même amèrement en peine de larmes, à travers les pièces où les portes du Jugement étaient partout grandes ouvertes sur les bouffées muettes et brûlantes des trompettes mortes. Bien que d’abord la joue seule de l’enfant enflât, il savait que le coup avait été si fort qu’il aurait pu tout aussi bien en mourir. Pour la première fois, l’adulte vit qu’il était un méchant ; il n’était pas seulement un scélérat, il était aussi un réprouvé ; aucune peine terrestre ne pouvait expier son forfait. Il avait détruit la seule chose qui lui eût jamais donné le sentiment glorieux d’une réalité durable, trahi la seule qu’il souhaitât jamais rendre éternelle et magnifier. Le damné s’accroupit auprès de l’enfant et s’adressa à lui dans les formes les plus anciennes de l’humanité, inexprimables et inimaginables pourtant jusque-là ; plutôt en peine de mots que pénétré d’elles. Mais l’enfant opine de la tête et, dans la silhouette qui pleure calmement, se révèle, comme une fois déjà, le bref éclat d’yeux clairs, s’élevant au-dessus de la brume du monde environnant. Rarement plus flamboyante consolation échut à un misérable mortel (même si cet être prétendit plus tard « ne pas pouvoir consoler »). Donc on comprend l’adulte et on compatit : par une telle attention l’enfant, pour la première fois, entre en tant qu’acteur dans son histoire ; et son intervention ainsi que toutes celles qui suivront, à diverses occasions, est comme un attouchement, front contre front et tout aussi laconique que le signe : « continuez à jouer » d’un arbitre expérimenté (qui est, lui, vraiment dans le monde).
Bien entendu la silencieuse consolation du regard, cela ne suffisait pas : il continua à être un réprouvé jusqu’à ce que l’incident eût été explicitement confessé à un tiers, non pas une fois mais encore, et encore (sans en être effacé pour autant).

(p. 42-44, L’Imaginaire/Gallimard)
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Plus tard il allait souvent avoir affaire à des gens sans enfants : convaincus, seuls ou par couples, bien pires encore. En règle générale, ils avaient le regard tranchant et, vivant eux-mêmes au jour le jour dans une effrayante innocence, ils savaient dire, dans un allemand pour rapports d’expert, ce qu’ils trouvaient faux dans une relation adultes-enfants ; certains même en faisaient leur métier. Entichés de leur propre enfance qu’ils ne cessaient de prolonger, ils se démasquaient, de près, comme de véritables monstres et lui, que cela touchait, avait chaque fois besoin de beaucoup de temps pour débarrasser son âme de leurs niaiseries analytiques qui, intérieurement, continuaient à agir avec le raclement maléfique de pinces de crabe. Il maudissait ces petits prophètes étriqués et satisfaits - ils étaient les déjections "des temps modernes" -, levait la tête devant eux et leur jurait de rester éternellement irréconciliable. Il trouva chez le dramaturge antique la malédiction qui leur convenait : « Or les enfants sont les âmes de tous les hommes. Celui-là qui ne l’apprit point souffre certes moins, mais son bien-être n’est que bonheur manqué. » (Tout autre chose était la sympathie, la bonne, l’aimable tristesse de gens sans enfants, mais tout différents.)

(p. 35-36, L’Imaginaire/Gallimard)
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Par une chaude journée d’octobre l’adulte lit, étendu dans l’herbe d’un maigre parc forestier ; au coin des yeux, l’enfant est une couleur proche : à un moment donné il sort de son champ de vision et ne revient pas. Lorsqu’il lève les yeux, il le voit loin déjà parmi les arbres. Il court aussitôt après lui, ne l’appelle pas mais le suit à quelque distance. L’enfant va tout droit même quand il n’y a pas de chemin. Entre eux surgissent sans cesse des promeneurs avec des chiens. L’un d’eux, en courant, renverse même l’enfant. Il se relève aussitôt et sans un regard pour l’animal continue tout droit. Devant un ruisselet dont l’eau qui coule à peine est noire de feuilles poussées par le vent, deux pintades sont en train de s’accoupler : la partie mâle chancelle, vacille, tombe de côté, fléchit sur ses pattes et s’affaisse sur le sol. L’enfant n’arrête pas de marcher ; il ne va ni plus vite ni plus lentement, ne regarde pas une seule fois derrière lui, ne tourne même pas la tête et ne semble pas non plus se fatiguer, comme si souvent au bout de quelques pas. Tous deux traversent, toujours à la même distance, une petite bande de prairie où l’on sent déjà le vent de la rivière proche. (Beaucoup plus tard l’enfant raconta à l’adulte que « prairie » le faisait penser à « paradis ».) Ici, sous le feuillage, il y a beaucoup de bois mort : l’enfant trébuche de temps à autre mais il ne dévie pas de sa direction. Une foule de gens, dans le parc, paraissent pourtant prendre tous un autre chemin ; des tribunes d’un champ de courses proche proviennent les cris d’encouragement du dernier tournant. Il semble à l’adulte qu’ils sont tous deux devenus des géants : têtes et épaules à hauteur de cime loin au-dessus du sol et invisibles à ceux qui viennent à leur rencontre : ils figurent ces êtres fabuleux que depuis toujours il a pensé être les puissances véritables derrière, au-dessus et entre toutes les réalités des sensations humaines. L’enfant s’arrête à la vue de la rivière et met, l’une sur l’autre, les mains dans son dos. Non loin du talus herbeux sont assis un autre adulte et un autre enfant, comme leurs remplaçants ou leurs doubles. Tous deux mangent une glace ; et l’eau de la rivière qui passe fait étinceler les boules de glace et les contours du cou. À moitié coulée dans le fleuve la rangée de cabines d’une baignade abandonnée. De l’autre côté de l’eau, vers l’ouest, la chaîne de collines au feuillage épais, balayée à mi-hauteur par le passage orange-blanc-violet des trains de banlieue. Le ciel au soleil couchant est argenté, des feuilles isolées, un rameau tout entier tourbillonnent, soulevés très haut dans le vide. Les buissons de la rive, en bas, s’agitent en une merveilleuse concordance avec la chevelure courte de l’enfant au premier plan. Le témoin oculaire implore pour que soit bénie cette image et il reste en même temps impassible. Il sait que chaque instant mystique recèle une loi générale dont il doit faire apparaître la forme, et qui ne vaut que par la forme qui lui est adéquate ; et il sait aussi que délimiter par la pensée la succession de formes d’un tel instant est l’œuvre humaine la plus difficile de toutes. - Alors il appela l’enfant qui s’était retourné vers lui sans surprise comme vers son garde du corps attitré.

(p. 28-30, L’Imaginaire/Gallimard)
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