Fervent défenseur du progrès, adepte de la croissance, Harari présente dans cet ouvrage l'évolution de l'Homo Sapiens. Représentez-vous l'image populaire de la file d'Homo Sapiens qui se suivent à la file dans une logique chronologique. On voit Homo Sapiens qui, d'une position courbée, se redresse, grandit jusqu'à atteindre la posture de l'homme debout, qui marche fièrement en regardant au loin, devant lui … jusqu'à se retrouver courbé, penché, devant l'écran d'un ordinateur … Et pourquoi pas, dans l'ordinateur ?
Pourquoi Harari ne jure-t-il que par la croissance ? Pourquoi ne parle-t-il jamais dans cet essai de la décroissance ? Est-il, idéologiquement, convaincu que la croissance, que le progrès, ne peut que nous élever, jusqu'à atteindre le rang de surhomme, jusqu'à atteindre le statut de dieu ? Pourquoi ne considère-t-il jamais la possibilité que le progrès, la croissance, peut nous mener à l'anéantissement ? S'il l'envisage, quand il l'envisage, il ne nous invite aucunement à arrêter la marche du progrès, au contraire, il l'encourage, car selon lui, seul le progrès sauvera l'humanité … quitte à détruire l'humanité … (tant qu'elle se transcende, dirait-il … la fin en justifierait-elle les moyens ? )
Lorsqu'il parle d'Oppenheimer, Harari ne le présente pas vraiment comme un pourvoyeur de mort bien qu'Oppenheimer ait dit de lui-même : "Maintenant, je suis devenu la mort, le destructeur des mondes". Harari considère que c'est tout de même bien pratique d'avoir des centrales nucléaires. Certes. Mais que penser des catastrophes nucléaires ? Est-ce un mal nécessaire ? Harari considère d'ailleurs que la bombe nucléaire est au service de la paix, parce qu'elle dissuade les Etats de se faire la guerre. En 2023, on ne peut que constater que son argument ne tient pas vraiment la route car la guerre continue malgré tout, on le voit très bien, et rien ne sert de minimiser comme il le fait dans cet essai le conflit Israélo-Palestinien pour ne citer que ce conflit, parmi tant d'autres, qu'il minimise, et je pèse mes mots.
Pour en revenir à l'idée de progrès, de croissance (et de décroissance), je vais vulgariser mon propos, comme le fait Harari. En voiture, si on se trompe de route, le plus judicieux est parfois de faire demi-tour, sauf si on est sur l'autoroute, et c'est vrai qu'au rythme actuel, on est peut-être sur l'autoroute, d'où l'impossibilité de faire demi-tour, mais plutôt que d'avancer jusqu'à s'éloigner de plus en plus, autant prendre la première sortie pour rejoindre la nationale, autant sortir de l'autoroute, pour arrêter cette course folle qui nous éloigne toujours plus de l'arrivée … Pourquoi cette fuite éperdue vers l'avant, pourquoi cette errance continuelle des progressistes ?
Plusieurs fois, lors de ma lecture de cet essai de vulgarisation historique plus que scientifique, j'ai trouvé l'argumentation d'Harari biaisée et étant donné qu'elle se présente comme « scientifique » alors qu'elle ne l'est pas, elle peut s'avérer dangereuse en véhiculant de drôles d'idées …
Certes, par moments, je partage son point de vue, notamment sur la maltraitance animale, car je considère qu'il est indigne d'un être humain d'être aussi inhumain envers les non-humains (comme envers les humains, cela va de soi). Mais alors qu'Harari s'indigne qu'on traite l'animal comme une machine, il est paradoxalement surexcité à la fin de cet essai par les cyborgs, par les hommes du futur qui seront en capacité d'être reliés à la machine … Super ! Ne voit-il pas que les avancées technologiques qu'on nous présente comme salvatrices pour l'humanité peuvent être tout aussi désastreuses ? Pourquoi les transhumanistes veulent-t-ils absolument transcender l'humanité ? Manquent-ils d'humanité pour refuser de voir que l'inhumanité engendre l'inhumanité, alors que l'humanité est tellement belle …
L'auteur ne manque pas de souligner les contradictions de l'humanité alors je ne me suis pas étonnée outre mesure ( quoique …) de découvrir page 295 ? deux ou trois pages sur le nazisme, comme quoi les nazis, selon lui, adoraient l'humanité, ne la détestaient pas, et que c'est parce qu'ils adoraient l'humanité qu'ils ont organisé, commis un génocide … Alors, non, je considère, personnellement, que les nazis exécraient une partie de l'humanité, qu'ils n'en aimaient qu'une partie, et qu'on ne peut pas dire qu'ils adoraient l'Humanité (avec un grand H) pour autant … Que leur contribution à la sélection naturelle, par la solution finale, n'est pas naturelle, quoi qu'on en dise (étant purement culturelle voire cultuelle).
Tout au long de son essai, Harari se fait révisionniste dans le sens où il réécrit l'histoire, la déconstruit (entre autres pour adapter notre vision de l'Homo Sapiens aux récentes découvertes archéologiques) mais à force de réécrire l'histoire, de la déconstruire, on sombre dans le révisionnisme le plus sordide … Changer les mentalités, ça peut s'avérer dangereux et on sent que c'est la volonté d'Harari, de changer les mentalités, de manipuler en quelque sorte l'opinion. Il a un petit côté idéologue, un petit côté gourou même, qui me déplaît fortement, je dois bien l'admettre.
D'autant plus qu'il se dit fasciné par la manipulation génétique. Fasciné par les cyborgs mais aussi par les scientifiques qui manipulent
L ADN. Il propose l'exemple d'Eduardo Fac, l'artiste qui, parce qu'il a pu poser de l'argent sur la table, a fait qu'un laboratoire français a, à partir de l'ADN de méduse, créé un lapin fluorescent … Est-ce pour ces fantaisies qu'on finance la recherche française, sérieusement ? Certes, Harari nous parle aussi des handicapés qui bénéficient grâce à la recherche d'une amélioration en qualité de vie mais Harari n'oublie pas de nous dire ( et il a ce mérite de ne pas le passer sous silence) que les manipulations biologiques sont financées par des industriels, programmées par des militaires, c'est selon, et il n'oublie pas de nous dire, non plus, que le grand projet, c'est le Projet
Gilgamesh …
Un article à propos du Projet
Gilgamesh : https://www.courrierinternational.com/article/essai-la-vie-eternelle-est-elle-pour-demain
Prolonger la durée de la vie humaine jusqu'à l'immortalité, ou même l'étendre à plus de cent ans, n'est-ce pas une fausse bonne idée ? Si ce n'est réservé par exemple qu'aux ultra-riches qui refusent de mourir, de laisser derrière eux toute leur richesse accumulée, devons-nous l'accepter ? Quand bien même la technique employée ne serait pas onéreuse, et serait accessible à tous, serait-ce une bonne idée selon vous de prolonger la durée de vie de tout le monde alors même qu'on nous parle de surpopulation ? Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, j'estime que les transhumanistes ne se posent pas les bonnes questions et laissent de côté, au service de la biologie, au nom de la science ou au nom du surhomme, que sais-je ?, qu'il laissent de côté, donc, l'éthique. Ils ont beau se concerter autour des questions que soulève la bioéthique, on dirait qu'en parler ne les empêche aucunement d'agir, de financer, de lancer la recherche … d'avancer dans ce projet de transcender la mort qui paradoxalement, peut s'avérer plus mortifère que prévu … Et si l'idée de vaincre la mort n'entraînait que la mort ?
Et s'il y a une vie après la mort ( simple hypothèse de ma part) que devient cette vie après la mort si on tue la mort ? Certains partent du principe qu'il n'y a pas de vie après la mort, qu'il n'y a pas d'âme, car on ne la trouve pas, l'âme, en disséquant un corps, en l'observant sous un microscope mais cela ne veut pas forcément dire qu'elle n'existe pas, si elles est d'une substance non matérielle. C'est bien l'idée de la spiritualité. Et les découvertes scientifiques du XXIème ne font que reproduire avec d'autres moyens les recherches du XVIIème. Les scientifiques qui tirent la conclusion que l'âme n'existe pas, parce qu'ils ne la découvrent pas, selon leurs méthodes de recherche, s'arrêtent d'être, selon moi, des scientifiques. Tout ce qu'ils peuvent tirer comme conclusions, c'est qu'ils ont cherché sans trouver …
Personnellement, j'ai trouvé dans cet essai ce que je m'attendais à y trouver.
Quelques pistes intéressantes sur Homo Sapiens, mais aussi pas mal de conneries qui m'ont fait lever les yeux au ciel …