Zakiya Dalila Harris signe, avec «
Black Girl », un premier roman ambitieux, à tiroirs, structuré avec intelligence. Un vrai régal de lecture malgré des thèmes forts, qui peuvent mettre mal à l'aise à la lecture.
Nella Rogers travaille depuis quelques années en tant qu'assistante d'édition chez Wagner, une maison d'édition littéraire très réputée. Un rêve pour celle qui a voulu faire ce métier grâce au roman Coeur brûlant, best-seller de la littérature noire américaine, publié chez Wagner par un tandem, autrice et éditrice, noir, ce qui ne s'est jamais revu depuis, l'éditrice ayant disparu à la suite d'un scandale. Ambitieuse et investie, Nella aime son travail, en dépit d'un manque de diversité contre lequel elle se bat dans la mesure des moyens que son entreprise lui laisse, c'est-à-dire pas beaucoup, et des micro-agressions racistes qui en découlent. Jusqu'au jour où Hazel-May MacCall arrive chez Wagner. Si Nella se réjouit dans un premier temps de ne plus être la seule salariée afro-américaine, elle déchantera assez rapidement en voyant sa nouvelle collègue, aux compétences sociales plus développées, beaucoup mieux s'intégrer et se voir rapidement confier des dossiers dont Nella n'a jamais été chargée… sans compter les lettres de menace qu'elle se met à recevoir. Qui lui envoie de telles lettres anonymes ? Serait-ce Hazel, en dépit de la sororité entre filles noires que Nella pensait partager avec elle ? Un autre collègue ?
Ainsi, «
Black Girl » commence comme un roman classique de rivalité en entreprise. Je me suis sentie mal pour Nella qui se fait peu à peu éjecter du circuit, incapable de se démarquer face à une fille plus cool et plus audacieuse. Je me suis surprise à avoir parfois envie de la pousser pour qu'elle s'affirme plus, et aie plus confiance en ses capacités, plutôt qu'à se cacher derrière des justifications systématiquement liées au racisme. Avant de commencer à m'interroger justement sur les fondements de ce racisme latent, qui me paraît plus affirmé et perceptible qu'en France (mais peut-être est-il plus facile de regarder chez le voisin que chez soi…) le talent de
Zakiya Dalila Harris est là, à se faire se poser des questions sur soi, sur sa déconstruction, en même temps qu'on lit une histoire qui devient de moins en moins banale. Car au fur et à mesure que l'on avance dans l'histoire, cette focalisation sur la place des Noirs dans une société qui se déclare hypocritement égalitaire, dans leurs chances amoindries de réussir dans les mêmes conditions qu'une personne blanche prend de l'ampleur, et participe à l'ambiance oppressante qui s'installe dès lors que Nella reçoit des menaces, qui sont perçues par tous comme un crime raciste. D'autant plus que d'autres personnages interviennent dans l'histoire, sous forme de flash-backs centrés sur une autre jeune femme afro-américaine, Shani Edwards, qui s'est fait licencier de son poste de journaliste dans un journal suite à la trahison d'une de ses collègues. Histoire qui ressemble étrangement à celle de Nella. Mais sont-elles liées ? Et au fait, pourquoi Kendra Rae Philipps, l'éditrice de Coeur brûlant, a-t-elle disparu de la circulation ?
On finira par le savoir, au prix d'un dénouement un peu surréaliste faisant la part belle à un certain complotisme. C'est gros, très gros, et je me demande dans quelle mesure l'autrice ne se moque pas de ses lecteurs en tentant de leur faire gober une histoire pareille, ou ne leur fait tout simplement pas confiance. Comme si le fait qu'une histoire basée tout simplement sur le système oppressif blanc ne serait tellement pas crédible qu'il faut au contraire lui substituer une grosse machinerie implacable digne de la meilleure science-fiction hollywoodienne.