"Aux abords d'une rivière, je m'arrêtai afin de reprendre mon souffle. Des clapotis m'alertèrent. Allongée sur les galets, une jeune femme offrait son corps nu à la caresse des eaux vives. Emerveillé, je crus d'abord assister au bain d'une nixe. Je déchantai bien vite : il s'agissait plutôt d'une sauvageonne à la tignasse boueuse. Difficile de jauger la beauté dissimulée sous cette crasse."
Une vérité essentielle m'apparut : beauté et laideur étaient des mensonges. Ces concepts n'appartenaient pas à l'ordre naturel, les bêtes n'en avaient cure. Ces fadaises n'intéressaient que l'Homme.
Elle avait le doux visage d'une déesse et les mains calleuses d'une paysanne. Elle avait la tête vide d'une fillette et les fesses pleines d'une femme.
La nature s'était jouée d'elle d'un bout à l'autre, et pourtant, elle ne lui en gardait nulle rancune.
Seule ombre au tableau : j’avais trop tôt épuisé mes réserves d’alcool. Je fus bientôt en proie au manque. Cloué au lit, marinant dans ma sueur, je souffris de visions.
Au plus fort de mon delirium, je crus discerner un serpent m’épiant depuis une fenêtre. Le reptile perçut aussitôt que je l’avais repéré. Il découvrit ses crochets, déploya ses ailes et s’envola. Avais-je rêvé? Venais-je d’entrevoir un amphiptère, tout droit jailli des vieilles légendes?