Il est clair que si Bürger attachait une haute importance à connaître la vie de Johannes Vermeer, ce n'était pas, de sa part, pure indiscrétion; c'est qu'il croyait y découvrir le secret de son talent, et apprendre surtout comment ce talent s'était formé; c'est qu'il se berçait de cette douce espérance, que la révélation de cette existence ténébreuse viendrait confirmer la présomption, par lui si souvent émise, que notre peintre était un des nombreux élèves de Rembrandt.
A franc parler, nous n'avons jamais bien compris l'insistance de Bürger à vouloir faire sortir Johannes Vermeer de l'atelier de Jodenbreestraat. Qu'il y ait quelques rapports éloignés entre le vieux maître d'Amsterdam et le jeune artiste de Delft, le fait n'est pas pour nous surprendre, ils peignaient l'un et l'autre dans le même pays et dans le même temps, et l'on sait assez que tous les artistes contemporains sont soumis à des préoccupations de même ordre, qui agissent à la fois sur les tempéraments et les talents les plus divers. C'est ce qu'on a si bien défini par ce mot : « l'influence des milieux ».
Houbraken , le Vasari de l'école hollandaise, si généreux envers nombre d'artistes qui souvent ne le méritent guère, conteur prolixe d'histoires plus ou moins authentiques, biographe qui prend de toutes mains et accepte pour exacts tous les récits qu'on lui fait, Houbraken ne parle pas de Johannes Vermeer. Il ne cite même pas son nom. Chez l'abondant Gampo Weyermann, il n'en est pas plus question que s'il n'avait jamais peint, et Van Goll semble avoir toujours ignoré qu'il ait existé de ses oeuvres.
N'avoir point de tableaux dans son atelier, vendre ses oeuvres un bon prix, être visité par les étrangers, honoré de la confiance des artistes ses confrères, chanté par les poètes, enregistré par les historiens, si ce n'est pas là de la notoriété, mieux que cela même, de la célébrité, je demanderai ce que cela peut bien être? Il semble (pour nous servir d'une expression courante) qu'avec de pareils atouts dans son jeu, on doit être sûr de passer à la postérité la plus reculée. Eh bien, non. — A peine Vermeer est-il mort que sa trace se perd, son nom s'oublie, son oeuvre se disperse.