Jamais je n'aurais cru que je deviendrais peintre. que je pourrais créer un monde et y pénétrer pour m'y perdre. (p.11)
Le problème avec les vieux amis c'est qu'ils refusent que vous changiez.
( p.239)
Installé le chevalet sur le carrelage près de la fenêtre et j’ai pris une autre toile de soixante par quatre-vingt-dix de la pile enveloppée dans une bâche, sorti mes tubes et j’ai peint un cheval couvert de poissons rouges et bleus se tenant au bord d’une falaise et perché sur un rocher, un corbeau à l’œil bleu qui l’observait. Le bec du corbeau était à moitié ouvert. Rien de plus. Ça me plaisait. Le corbeau n’était pas totalement désintéressé puisqu’un cheval mort était synonyme de grand festin, de potlatch pour corbeau, mais je crois que l’oiseau parlait plutôt de choix au cheval, lui disait qu’il n’était pas obligé de sauter. Il était clair que pour une raison ou une autre, le cheval était censé sauter et que le concept de libre arbitre lui était inconnu. Tous les événements de sa vie s’étaient présentés dans un certain ordre et soit on lui avait dit quoi faire, soit il l’avait su en son for intérieur, si bien que l’idée d’avoir à choisir entre deux possibilités n’était jamais entrée en ligne de compte.
Le soir tombe, comme à l’instant où je peignais, des ombres jetées vers l’est dans la lumière rasante, vers la montagne, et les poneys avancent en tandem, même allure, même rythme dans l’approche, le bruit sourd des sabots et le jeu de la lumière tardive, le tout comme mis en musique, la proximité de leurs flancs pareille à une danse, puis j’ai compris pourquoi ils arrivaient ensemble : en travers de leurs deux garrots, en équilibre, le corps emmailloté d’une jeune fille. J’étais stupéfait. La brosse à mi-chemin de la toile : respiration. Malgré tout, j’ai continué de peindre. J’ai peint la jeune fille ballottée sur leur dos, pas même attachée, tenue en équilibre en dépit de l’allure rapide et bondissante, maintenue en équilibre, je le voyais désormais clairement, grâce à la seule prévenance des chevaux, grâce à leur amour.
C'est un fan de Pablo Neruda et de Rilke. J'ai lu certains des recueils. Moi je les trouvais très différents, mais qu'Est-ce que j'en sais. Neruda qui fait surgir des petites colombes des mains de son amante et des champs de blé de son ventre et qui s'étire comme une racine dans l'obscurité, ça m'excitait les sens, vraiment. (...)
Si vous tombez dans la lecture de Neruda, impossible de vous arrêter. (p. 22)
Je ne suis pas du tout quelqu'un de simple mais j'aime les gens simples, je les admire.
(.p.102)
"(...)Hier, Dugar m'a annoncé qu'il voulait partir s'installer à Big Sur."Dugar était son petit ami hippy." J'ai trouvé ça trop con.Sans parler que plus personne y vit tellement c'est cher.Il a lu deux bouquins et demi de Henry Miller et voilà. Il a quinze ans ou quoi? Depuis quand tu lis un roman et tu veux vivre là où ça se passe?"
Les ruisseaux entrecroisés qui se faufilaient entre les saules verts et rouges comme un petit delta, les corbeaux qui volaient. Les trois corbeaux de la vie. Et non les sentinelles de la mort. Je les entendais pendant que je peignais, ce cri caractéristique et exubérant qui bourdonne comme un câble électrique. J’ai peint l’épervier de Cooper qui tournoyait très haut en altitude, les nuages au-dessus de lui poussés dans leur propre trajectoire. J’ai peint les poissons qui jaillissaient hors de l’eau même si les miens ne sautaient pas vraiment, mais venaient plutôt aspirer des insectes à la surface, mais je me suis dit, on s’en fout, pas la peine d’être trop littéral, et je me suis retenu de caser un poulet ou la mort dans un coin quelque part. C’est marrant, mais c’était très libérateur de m’en tenir simplement au paysage sous mes yeux.
Qu’y a-t-il dans la peinture, qu’est-ce qui fait qu’elle peut toucher les gens exactement comme la musique, et les toucher de manière si différente.
Il y a des rivières que vous aimez, voilà tout, et voir le panneau représentant la voie ferrée et la gorge escarpée m'a rappelé que nous pouvons avancer dans la vie aussi facilement d'amour en amour que de perte en perte.
( p.178)