Peindre, pêcher et laisser mourir

" C'était quoi votre question ? Pourquoi le fils d'un simple bûcheron peint ?"
" C'est cela, a-t_il répondu en souriant.Pourquoi choisir d'être un artiste outsider dans un marché de l'art inconstant et capricieux, d'affronter les doutes et les tourments de la créativité ?
Je veux dire que cela revient quasiment à vouloir être pauvre, du moins durant les dix ou vingt premières années dans le meilleur des cas, non ? Et votre famille ne doit pas tellement pouvoir vous soutenir financièremnt, j'ai lu que vous aviez grandi dans une caravane en forêt . Pourquoi choisir l'art plutôt qu'un revenu décent et régulier en tant que bûcheron, comme votre père ?"
(...)

Je voyais bien que c'etait la question du jour.Était-ce désinvolte de la part d'un fils de bûcheron d'aspirer à être artiste.C'était cette désinvolture qui expliquait cet art " viscéral, musclé, exubérant et outsider".Ainsi qu'il l'avait décrit dans son introduction.J'ai pigé. Comment fonctionnait le monde de l'art: vous pouviez être un outsider du moment que vous gardiez votre pagne et votre lance, que vous restiez primitif.Que vous ne vous mettiez pas à avoir de trop grandes idées.

Je l'ai regardé. Je savais qu'il n'aurait jamais posé cette question à un étudiant sorti d'une école d'art.J'avais passé des nuits en prison à cause d'hommes comme lui, des hommes condescendants qui m'attaquaient.Me poussaient à me battre.J'avais payé des amendes, été mis en liberté surveillée.

( p.183)

"Un océan de femmes " était peut être un grand tableau. Il emmenait le regardeur en des lieux nombreux et divers, ce qui est l'apanage des grands tableaux. (...)

Un bon tableau devait faire ça. Inviter le regardeur à entrer en lui d'où qu'il se tienne, l'entrainer dans un voyage différent de celui qui expérimentera son voisin.J'adorais ça, observer plusieurs personnes regarder un tableau au même moment.Parce que c'était la transformation qu'il provoquait : devant une oeuvre de qualité un spectateur cesse de voir pour commencer à regarder, une action plus précise, une prise en chasse, une quête, comme on recherche le bateau d'un être aimé sur la ligne d'horizon, ou un élan entre les arbres.Devant un bon tableau, il cherche les indices de sa propre existence.

( p.110)

Si nous savions ce qui se prépare. peut-être que nous ne resterions pas les bras croisés à attendre. Le temps présent et le temps futur.

Page 212.

Je voulais lui dire combien je l'aimais(***mère du narrateur) mais je ne savais pas comment. En vérité, durant ce printemps, je n'étais plus moi-même. J'étais hors de moi, mais de chagrin, pas de colère. J'avais l'impression d'être toujours à quelques centimètres de mon corps et de fonctionner en automatique. À l'écart. De mes sentiments, d'une vision claire des choses, quelles qu'elles soient.Tout ce qui m'importait était de lire, surfer et dessiner.

( p.217)

J'ai peint comme si ma vie en dépendait. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai peint avec une telle frénésie.

Page 249.

J'ai dit: " Les tableaux mènent une vie autonome. C'est comme s'il arrivait des trucs à l'intérieur quand tu ne les regardes pas. "

( p.331)

Quand elles m'ont vu, les petites ont poussé des cris.Elles ne pouvaient pas s'en empêcher. Des cris de joie. (...)
Je dois dire que cela faisait des années que je n'avais pas été aussi heureux. Mieux que ça. Je me sentais bien, je veux dire comme un homme bon dans un monde bon, comme le soleil qui tombait en oblique par les grandes fenêtres et réchauffait nos esprits.

( p.244)

Le téléphone portable a sonné. La maison n'a pas de ligne fixe, on n'est pas connecté au réseau (...)
Doerr devait être une espèce d'écologiste avec son énergie solaire, son four à bois, ses épais murs en terre absorbant la chaleur qui entre par de grandes baies vitrées orientées au sud. Pas de téléphone, pas de réseau, un peu de propane, le poète était un écolo idéaliste, donc essentiellement malheureux.


( p.23)

L'idée de nous savoir identique d'une manière ou d'une autre m'a coupé le souffle. Est-ce que le fait de tuer ne vous lie pas à votre victime ? Créant une terrible communion dont vous ne pourrez jamais vous défaire.

Page 423.

"Jim, si quelqu'un méritait une mort prématurée c'est bien ce fils de pute. Mais tu sais, on ne peut pas juste tuer des gens quand cela nous prend. J'dis ça comme ça"

"Sois sage", a-t-il dit comme il le fait toujours.

Page 186.