Scalp
De
Cyril Herry
Editions Seuil, collection Cadre noir
« Il s'arrêta pour regarder autour de lui, toutes ces feuilles vives, ces débris de bois sec où s'emmêlaient des colliers d'échardes. le ciel bleu, sans défauts. le soleil dans les yeux qui frappait le paysage et le crâne. »
Scalp est aride comme le désert d'Atacama. Layenne, le village où se situe l'histoire, hostile à la manière de la bordure d'un cratère de volcan belliqueux. Mais à la place des volutes de soufre et des langues de feu il y a des hommes pervertis et un gros mystère.
L'histoire : Hans, neuf ans révolus et sa mère Teresa débarquent dans un coin de campagne perdu où Alex, le père de Hans, est censé vivre. Un père dont le petit vient de découvrir l'existence par l'aveu de sa mère. L'homme est un marginal qui vit dans une yourte au milieu de nulle part. L'enfant doit gérer ce chamboulement, digérer que celui qu'il pensait être son père n'était qu'un mensonge et se préparer à la rencontre avec son géniteur. Teresa elle, ne sait pas comment elle va réagir en le revoyant, dix ans après son départ soudain.
220 pages tirées à l'épure sous un soleil implacable. Pas un mot de trop, tous à leur juste place, agencés au millimètre à la manière des arbres de la forêt qui semblent avoir poussé dans l'anarchie mais qui s'assemblent parfaitement.
Avec
Scalp, on est enfermé dehors. Avec le ciel pour toit, l'étang inquiétant et les bois alentour en guise de murs, l'impression permanente d'être observé, l'idée curieuse d'un danger qui rôde, des non-dits, des chemins qui ne mènent nulle part, une atmosphère pesante, un coin de terre à l'abandon qui dissone, un village sous le joug, un cimetière de voitures couvert d'épines.
Pas d'explosions furieuses, pas de poursuites dans des couinements de pneus à l'agonie, pas plus de silhouettes qui surgissent dans la nuit en brandissant une arme, rien de tout cela, et pourtant…la violence est là, sous-jacente, elle se retient, patiente, ne demande qu'à surgir.
Pourtant quand Teresa et Hans arrivent au lieu-dit « les étangs froids », on y arrive aussi, et on perçoit cette ambiance inquiétante, ce quelque chose d'hostile, prégnant et invisible. C'est peut-être le passé récent qui hurle et qu'on n'entend pas, une sorte d'ultra-son hors de portée de nos oreilles. Mais ça plane au-dessus, il y a une présence, notre instinct nous le souffle.
Des bouleaux, des hêtres, une vaste couverture végétale et un étang étale sur lequel courent des échos et sur les bords duquel apparaissent parfois des formes humaines. Il y a les fougères qui grillent sous l'ardent soleil, la yourte en épicentre du malaise. Il y a beaucoup de colère rentrée, de comptes à régler avec le passé et le présent, des vagues d'incertitudes, des secrets délivrés au compte-gouttes par des personnages qui se sont trop longtemps écrasés sous la menace.
Cyril Herry n'a pas écrit cette histoire, il l'a peinte et distillée, avec une volonté qui transpire, avec une ambition de raconter une histoire sans user d'artifices commodes, sans pirouettes pyrotechniques, sans rebondissements qui ont bien trop souvent rebondi dans de trop nombreux romans. Il s'est attaché à dérouler ce récit en ayant sélectionné chaque mot, en ayant pris le soin de vérifier que la forme de chacun épousait bien les creux et les bosses, les courbes et les angles du roman, que tout s'imbriquait sans que l'on ait à forcer. Aucune mauvaise graisse n'a proliféré entre les lignes, les paragraphes ; on y trouve que de l'os, du tendon et du muscle.
Cyril Herry est parvenu à habiter Hans, il a réussi à avoir neuf ans. Ce n'est pas une performance banale. Il a compris ce que vivait ce gosse qui se découvrait un père, un père qui, à peine dévoilé, était idéalisé. Un rejeton qui découvre la liberté en explorant la nature vivace, un gamin accompagné par des rêves et des craintes.
Difficile d'en dire plus sans aller trop loin, je vais donc en rester là. Ou presque. Parce que sobriété ne veut pas forcément dire pauvreté, je vous laisse un extrait, pour la route.
« Il pouvait être midi. de temps à autre, un nuage voilait le soleil pendant quelques secondes ; de courts répits qui fanaient les couleurs. »
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