C’est dire quelle tâche difficile assumèrent les impressionnistes, quand ils résolurent de remplacer la mise en place immobile, par la mise en place en mouvement. les yeux, pleins de préjugés, perdirent l’équilibre en revenant sur terre, parmi les choses véritables. La vérité fit l’effet d’un alcool ; privés de leur théâtre, de plain-pied avec la réalité, les gens ressentirent une sorte d’ivresse où tout chavirait.
Ce fut un émerveillement. A découvrir, fidèlement évoquée, la diversité des apparences, à voir l’art transcrire la vie de manière à la conserver en état de création continue, la sensibilité éprouva une ivresse de liberté et de compréhension délicieuse.
De fait, il était dans la logique de l’oeuvre et conforme au caractère de l’homme qu’une fatale solitude s’attachât et à elle et à lui, en un temps où le goût ne sait que se partager entre la docilité la plus étroite à la tradition, et l’engouement extatique de la révolution.
Que, demain, comme il est probable, on donne enfin plus de soin à l’exposition d’ensemble des oeuvres de Degas et que, au Douvre ou ailleurs, le public puisse en prendre la connaissance judicieuse qui lui manque, il y a fort à parier que cette expérience, tout en procurant à ce grand artiste l’immortalité à laquelle il a droit, ne parviendra point à lui assurer l’effervescence de curiosité, le bruit continu de faveur dont, jusqu’ici, il a été privé et qui ne se rattrapent plus, une fois le moment passé.
Degas détestait l’académisme, et il détestait que la peinture se livrât à des excès plus poétiques et littéraires que picturaux. Il soutint cette attitude entre les « Salons » et l’ « Impressionnisme », de la façon, d’ailleurs, la plus insouciante. De la part d’un peintre qui réclamait que les peintres fussent simplement des peintres, c’eût été absurde de mener tapage et de dogmatiser.
Toute la lumière, tous ses pouvoirs par lesquels un seul — visage, un seul objet, au cours d’une heure, se devient étranger, se quitte puis se reprend, et donne naissance à dix visages, à dix objets, toutes les inflexions d’un mouvement baignant dans le soleil ou absorbé par l’ombre, toutes les dispersions, toutes les transmutations subites et infinies de la coloration et l’action dissolvante que ces phénomènes exercent sur la stabilité des formes, tout ce qui fait de chaque corps compact le simple soutien d’un fantôme féerique toujours changeant, voilà ce que l’impressionnisme a prétendu avoir le droit et le moyen de capter et de traduire.