Citations sur Eloge de la vieillesse (60)
Je connais bien le sentiment de tristesse qu'inspire la précarité de toute chose, je l'éprouve à chaque fois qu'une fleur se fane. Mais il s'agit là d'une tristesse sans désespoir.
FEUILLE MORTE
Toutes les fleurs veulent se changer en fruits,
Toute matinée veut devenir soirée,
Sur terre rien n’est éternité,
Si ce n’est le mouvement, le temps qui fuit.
Même le plus bel été veut voir une fois
La nature qui se fane, l’automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
Lorsque le vent veut t’enlever au loin.
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
Laisse les choses advenir sans heurts,
Laisse enfin le vent qui te détacha
Te conduire jusqu’à ta demeure.
L'éphémère possède un charme merveilleux, un charme d'une brûlante tristesse. Mais il y a plus de beauté encore dans le passé qui n'est pas révolu, qui ne s'éteint pas, se perpétue secrètement, dans le passé qui recèle une éternité cachée, refait surface dans la mémoire et se tapit dans les mots qu'il faut sans cesse invoquer !
Si un jour je me mettais à chercher avec qui j'entretiens volontiers les relations les plus fréquentes en dehors de ma femme et de mes fils, il apparaîtrait que c'est uniquement avec des morts, des hommes de tous les siècles, des musiciens et des peintres. Leur être, concentré dans leur œuvre, continue de vivre et revêt pour moi plus de présence et de réalité que la plupart de mes contemporains.
À l'écoute
Une musique douce, une brise nouvelle
Parcourt la grisaille de la journée,
Elle semble effarouchée comme un battement d'ailes
Hésitante comme un parfum printanier.
Venus de très loin, de l'aube de l'existence,
Nombre de souvenirs soudain affluent,
Comme une ondée d'argent sur l'océan immense
Ils font frémir les airs et ne sont plus.
Le présent, le passé nous semblent bien distants
Mais les choses oubliées ne sont pas loin,
Les temps merveilleux, le monde d'antan
Sont là, tels un jardin ouvert, sans fin.
Peut-être qu'à cette heure mon ancêtre veille,
Lui qui repose depuis déjà mille ans,
Sa voix est désormais à la mienne pareille,
Son corps reprend vigueur dans mon sang.
Peut-être qu'un messager attend devant l'entrée,
Et qu'il pénétrera bientôt sous mon toit ;
Peut-être bien qu'avant la fin de la journée
Je rentrerai pour toujours chez moi.
(éd. Livre de Poche, 2000, p. 10)
Quand on est vieux, qu’on a accompli sa tâche, on a le droit de s’approcher de la mort en silence.
Lorsque les tout jeunes gens, encore inconscients, sentant uniquement la supériorité de leur force, rient dans notre dos, s’amusant de notre démarche mal assurée, de nos quelques cheveux blancs, de notre cou maigre et ridé, nous nous souvenons qu’autrefois, habités par la même force et tout aussi inconscients, nous avons souri nous aussi. Mais au lieu d’éprouver à présent un sentiment d’infériorité et de défaite, nous nous réjouissons d’avoir franchi cette étape de notre vie, d’avoir un tout petit peu gagné en sagesse et en patience.
(Le Livre de Poche, p.68)
Le seul attribut réservé aux plus vieux est le pouvoir de manier avec plus de liberté, d'aisance, d'expérience et de bonté la faculté d'aimer.
C'est seulement en vieillissant que l'on s'aperçoit que la beauté est rare, que l'on comprend le miracle que constitue l'épanouissement d'une fleur au milieu des ruines et des canons, la survie des oeuvres littéraires au milieu des journaux et des cotes boursières.
Adieu, monsieur le Monde
Le monde n'est que débris,
Lui que nous chérissions tant;
Et mourir aujourd'hui
Semble moins effrayant.
Il ne faut point l'outrager
Ce monde riche et sauvage.
Il est encore enveloppé
De la magie d'un autre âge.
Emplis de reconnaissance
Nous abandonnons le grand jeu
Il offrit joies et souffrances,
Un bel amour généreux.
Adieu, monsieur le Monde, pare-toi
D'une jeune et lisse beauté,
Nous sommes des peines d'autrefois
Et de tous tes bonheurs lassés.