C'était un enchevêtrement fantastique de formations géologiques érodées, éclairé à ce moment là par le soleil couchant. L'homme blanc y voit la désolation et appelle ça un désert, pensa McKee, mais le nom que lui donnent les Navajos signifie "Vallée Magnifique".
Il était facile de voir pourquoi Yazzie avait érigé son hogan à cet endroit. Derrière les habitations, les falaises de grès d’une butte se dressaient à l’à-pic au nord et à l’ouest : cent siècles d’éboulis à leur base puis une pierre rougeâtre, lisse et abrupte, avec des traînées aux endroits où la couleur était devenue sombre par suite du suintement des eaux, suivie d’une couche de perlite grise plus malléable, creusée et criblée de grottes et de cavités, coiffée tout au sommet par l’avancée en surplomb d’une roche ignée noire et dure. Cela offrait aux hogans un abri contre les vents de sud-ouest et de l’ombre contre le soleil de fin d’après-midi. Au nord et à l’est, le paysage était un enchevêtrement fabuleux de formes colossales érodées dominées par une autre butte imposante au sommet aplati. Toutes les couleurs du spectre sont là, pensa McKee. Toutes à l’exception du vert pur. Le peu d’herbe qu’il y avait était hors de vue, caché dans des replis où la terre pouvait s’amasser et retenir les racines, et où les eaux qui ruisselaient de cette immensité rocheuse pouvaient être retenues et absorbées. Il avait dépassé plusieurs de ces endroits herbeux en empruntant la piste à chariots qui menait jusqu’à ce lieu. Certains, avait-il remarqué, avaient été sérieusement broutés par les moutons. Mais pas la majorité. Yazzie avait dû ressentir une belle frayeur pour emmener son troupeau en tournant le dos à cette herbe.
- Pourquoi tuer quelqu'un comme Horseman ? Ce n'était qu'un pauvre gars parmi d'autres qui ne savait pas très bien comment être Navajo et ne parvenait pas à apprendre à se comporter en homme blanc. Totalement inadapté.
Le fantôme d'Eddie allait être avide, et convoiterait sans répit des possessions matérielles, ce qui, pour les Navajos, représentait le comble de la malfaisance contre nature.
Il avait levé les yeux vers le rebord de la mesa et il y avait ce sorcier, là, qui se tenait là-haut et qui le regardait. Il était au bord de la mesa, au sommet des rochers, avec cette peau de loup sur lui, mais son oncle avait bien vu qu'il s'agissait d'un homme.
Les Navajos ne tuent pas de sans-froid avec préméditation. Ils ne tuent pas non plus pour en tirer profit. Agir de la sorte est en violation de l'échelle de valeurs du Peuple. Mis à part la satisfaction de besoins élémentaires simples, la culture navajo fait peu de cas de la propriété. En fait, être plus riche que ses frères de clan s'accompagne d'un discrédit total. C'est contre nature et, par conséquent, considéré avec méfiance.
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- Le totem du Clan du Roseau, lui dit il. Un des membres du Peuple Sacré. Excellent pour repousser la poudre de cadavre. Aucun loup Navajo qui se respecte ne s'en prendra à toi. Je te le garantis.
- Je la garderai toujours sur moi, assura Caufield.
Plus tard, ces mots allaient revenir à la mémoire de McKee, ils allaient revenir pour le hanter.
La langue navajo est trop précise et trop explicite pour se prêter efficacement au blasphème. Leaphorn jura en espagnol puis, longuement, en anglais.
Il soupçonnait le jeune homme d'avoir abandonné la Voie Navajo pour suivre la Route de Jesus.
... tout en conduisant, il chantait un chant que son grand-oncle lui avait appris :
Je marche d'habitude là où la pluie tombe
En dessous de l'est je marche
Moi qui suis Né de l'Eau
Je marche d'habitude là où la pluie tombe
Dans les limites de l'aube je marche
Je marche d'habitude là où la pluie tombe
Entouré du maïs blanc je marche
Entouré des nourritures douces je marche
Entouré des eaux recueillies je marche
Entouré du pollen je marche
Je marche d'habitude là où la pluie tombe
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