Celui qui dans ce pays désire une fille qui ne tapine pas et n'est pas une call-girl ou quelque chose dans le genre (...), pour celui-là, l'amour dépend avant tout de l'aura de réussite qu'il est tenu, en tant qu'homme, de dégager. Si toi, Jakob Bronsky, tu devais rencontrer une telle fille, elle se posera les questions suivantes: Qui est Jakob Bronsky? Pourquoi écrit-il dans une langue qui n'est pas "in" et qui n'est parlée que de quelques greenhorns? Où ces gribouillages le mèneront-ils ? A rien, probablement. Que sait-il, Jakob Bronsky, de l'american way of life? Sait-il, Jakob Bronsky, que seule la réussite compte, et rien d'autre? Est-ce un mec qui écrase l'autre sans le moindre scrupule tout en croyant au bon Dieu? Sait-il que notre monde est un monde paradisiaque? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'infaillibilité de notre système? Connaît-il les idéaux de nos ancêtres, ceux arrivés avec le premier navire, le Mayflower, et que pense-t- il de la culture Coca-Cola? Croit-il, Jakob Bronsky, au rêve américain? Va-t-il un jour posséder une voiture flambant neuve, des costumes de prix, une maison ou un appartement à lui dans les quartiers en vogue de l'Eastside? Ses revenus dépasseront-ils les cent cinquante dollars par semaine de sorte qu'on puisse dire: celui-là, il vaut cent cinquante dollars, minimum! Claquera-t-il, ne serait-ce qu'une fois, cent balles en une soirée par pure exubérance, juste pour me montrer qu'il en a les moyens? M'invitera-t-il à Las Vegas? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'intérêt de devenir membre d'un Country Club et que fait-il pour y parvenir? Va-t-il falloir que je subisse sa bite? Est-ce que ça vaut le coup? Car, au bout du compte, je voudrais me marier un jour, puisque c'est ce qu'on attend de moi. Car, au bout du compte, je voudrais aussi divorcer un jour pour encaisser ma pension alimentaire. Sera-t-il, Jakob Bronsky, un jour en mesure de payer une pension alimentaire, Jakob Bronsky, ce vieux clodo qui prétend avoir vingt-sept ans? Non, Jakob Bronsky. Tes gribouillages ne m'intéressent pas. Ta trique encore moins. Douche ta bite à l'eau froide!
Je dis : « Vous pourriez manger un petit quelque chose. Peut-être un sandwich jambon-gruyère ? »
« Je ne mange pas de jambon », dit Monsieur Selig.
« Vous êtes pratiquant ? »
« Non. Pas du tout. Mais je ne mange plus de jambon depuis que les nazis m'en ont fourré de force dans la bouche. »
« Quand ça ? »
« 1940. À Varsovie. En Pologne sous l'Occupation. »
« Avant vous mangiez du jambon ? »
« Bien sûr. Nous n'étions pas pratiquants. »
Je me suis couché, j’ai tiré la couverture sur ma tête, je ne me suis pas allongé sur le ventre pour ne pas exciter ma bite encore plus, j’étais allongé sur le dos, j’ai joint les mains, commencé à prier, bien que non croyant, puis j’ai juré. Sans résultat.
« Ecoute-moi bien », j’ai dit à ma bite.
« On va parler tous les deux. Sérieusement. Puisque nous sommes entre nous. Je sais que tu as envie de faire la fête aujourd’hui, parce que nous avons terminé le CHAPITRE CINQ .
«Dans ce pays [les États-Unis], un intellectuel n'a aucune chance de devenir président», dit le germaniste Rosenberg.
«L'Amérique, c'est la Terre Promise!»
«L'Amérique est un cauchemar!»
Le riche parent les ammena en voiture à Times Square et il leur montra les alignements de cinémas,un cinéma chassant l'autre.Il leur montra également la 44 eme rue avec ses grands théâtres.Nathan Bronsky aperçut une Cadillac noire,encore plus belle que celle du riche parent.La Cadillac stationnait devant l'un de ces grands théâtres.A l'intérieur,le chauffeur en élégante livrée.Nathan Bronsky toucha sa femme pour lui montrer un clochard noir qui pissait derrière la Cadillac.Il demanda au riche parent:"C'est ca ,l'Amerique?"
"Oui",dit le riche parent."C'est ca ,l'Amerique."
« J’ai compris qu’il ne suffit pas de survivre. Survivre ce n’est pas assez. » (p. 271)
(Edgar Hilsenrath aux jeunes Allemands) :
lisez mon livre… Mon livre contre la violence et la barbarie.
Je note rarement des choses dans mon journal intime. La plupart des feuilles sont vierges, ont un aspect énigmatique et dégagent des mystères : du papier blanc, à deux sous, de chez Woolsworths. Une fois seulement, fin juin, je me suis décidé à prendre quelques notes. J'ai écrit : hier, le 23 juin 1953, Jakob Bronsky a fini le CHAPITRE CINQ. LE BRANLEUR progresse. J'ai besoin d'un nouveau crayon. J'ai aussi besoin d'une femme. Plus j'écris, plus ma bite me démange. Mon besoin de sexe est immédiatement lié à ma puissance créatrice, à la foi en mon génie artistique. Malheureusement, les putains s'en fichent pas mal, et les jeunes filles "privées" encore plus. Jakob Bronsky ne compte pas. Son art est un manifeste. Il ne bouleverse personne. Sauf lui-même. Jakob Bronsky est un grand artiste encore ignoré du monde entier.
J'ai noté encore autre chose. J'ai écrit : il est inexact de dire qu'ici l'amour est uniquement une question d'argent. Celui qui dans ce pays désire une fille qui ne tapie pas et n'est pas une call-girl ou quelque chose dans le genre - une fille de l'autre espèce si l'on peut dire -, pour celui-là, l'amour dépend avant tout de l'aura de réussite qu'il est tenu, en tant qu'homme, de dégager. Si toi, Jakob Bronsky, tu devais rencontrer une telle fille, elle se posera les questions suivantes : Qui est Jakob Bronsky ? Pourquoi écrit-il dans une langue qui n'est pas «in» et qui n'est parlée que par quelques greenhorns ? Où ces gribouillages le mèneront-ils ? À rien, probablement; Que sait-il, Jakob Bronsky, de l'american way of life ? Sait-il, Jakob Bronsky, que seule la réussite compte, et rien d'autre ? Est-ce un mec qui écrase l'autre sans le moindre scrupule tout en croyant au bon Dieu ? Sait-il que notre monde est un monde paradisiaque ? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'infaillibilité de notre système ? Connaît-il les idéaux de nos ancêtres, ceux arrivés avec le premier navire, le Mayflower, et que pense-t-il de la culture Coca-Cola ? Croit-il, Jakob Bronsky, au rêve américain ? Va-t-il un jour posséder une voiture flambant neuve, des costumes de prix, une maison ou un appartement à lui dans les quartiers en vogue de l'Eastside ? Ses revenus dépasseront-ils les cent cinquante dollars par semaine, de sorte qu'on puisse dire : celui-là, il vaut cent cinquante dollars, minimum ! Claquera-t-il, ne serait-ce qu'une fois, cent balles en une soirée par pure exubérance, juste pour me montrer qu'il en a les moyens ? M'invitera-t-il à Las Vegas ? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'intérêt de devenir membre d'un Country Club et que fait-il pour y parvenir ? Va-t-il falloir que je subisse sa bite ? Est-ce que ça vaut le coup ? Car, au bout du compte, je voudrais me marier un jour, puisque c'est ce qu'on attend de moi. Car, au bout du compte, je voudrais aussi divorcer un jour pour encaisser ma pension alimentaire. Sera-t-il, Jakob Bronsky, un jour en mesure de payer une pension alimentaire, Jakob Bronsky, ce vieux clodo qui prétend avoir vingt-sept ans ? Non, Jakob Bronsky, tes gribouillages ne m'intéressent pas. Ta trique encore moins. Douche ta bite à l'eau froide !
Puis, j'ai noté une dernière chose. J'ai noté : Pour écrire le CHAPITRE CINQ, Jakob Bronsky a vécu neuf jours avec ce qui restait de son dernier dollar.
"J'aimerais bien savoir à qui il peut écrire!"
"Il n'écrit à personne", je dis. "Toutes les lettres reviennent."
"Il doit bien écrire à quelqu'un", dit Monsieur Selig.
"Probablement qu'il écrit aux membres de sa famille qui ont été gazés", je dis.
"Ça se peut.' dit Monsieur Selig.
Je dis :"Oui."
"Pensez-vous qu'il est fou?" dit Monsieur Selig.
Je dis: "Non."