Citations sur Vertiges (55)
Tu m’avais harponné parce que nous avions échangé des regards complices, et tu y avais vu une belle ouverture de ma part. Et puis tu n’avais pas complètement fermé la porte.
Je n’ai pas joui. Sexuellement, je veux dire. L’idée de te donner du plaisir passait avant le mien. Je me suis dit que je m’étais bien débrouillé, je n’étais pas novice. Bien sûr, j’aurais pu atteindre l’orgasme si tu avais pris le temps de m’accaparer davantage, mais quelle importance. Tu m’avais souri, tu t’étais intéressé à moi, tu m’avais offert une partie de ton temps. C’était cela aussi, la jouissance. Glisser mes doigts là où il fallait, me cambrer de manière que je te sois plus facile d’accès. La jouissance, c’était me rendre inoubliable.
Il y avait en toi mon besoin d’imprévu, mon besoin d’exister. Mon besoin d’être à toi en entier. C’était comme si tout ce que j’avais rêvé depuis des jours, voire des mois et des années se concrétisait comme par magie sous mes yeux ébahis.
Enfin, baiser n’était pas le mot juste. Tes lèvres contre les miennes étaient du caramel. Ta peau, un morceau de brioche perlée de sucre dans laquelle j’aimais mordre. Ta langue au fond de ma gorge, une goule qui hurlait des incantations merveilleuses.
Mon abattement était tel que je ne t’ai pas entendu arriver par-derrière, dans l’ombre du parking, que je traversais pour prendre le métro. J’ai tourné la tête, empêtré dans mon spleen, épuisé d’avoir trop lutté, et je t’ai vu, douceur terrible, me sourire en grand.
Je n’avais qu’une envie. Je voulais rentrer chez moi et m’enfermer dans le noir, à double tour. Je voulais oublier ces images, oublier cette histoire. Oublier cette injustice passagère, ces quelques minutes perplexes qui avaient détruit mon identité, qui m’avaient fait choir de mon podium ambitieux.
— Hé !
Mon abattement était tel que je ne t’ai pas entendu arriver par-derrière, dans l’ombre du parking, que je traversais pour prendre le métro. J’ai tourné la tête, empêtré dans mon spleen, épuisé d’avoir trop lutté, et je t’ai vu, douceur terrible, me sourire en grand.
— Ça te dit, un verre chez moi ?
J’ai dû avoir l’air con quand je me suis rapproché de toi en faisant quoi ? d’une voix franchement débile.
Je t’ai regardé t’éloigner, l’air résigné, endurant le spectacle horrible que tu m’offrais. Tu ne m’as pas jeté un regard, et c’était tant mieux, car je me trouvais laid en cet instant, friable, voûté et affreusement triste de m’être inventé de si belles projections sur notre vie commune. Comment exprimer mon désarroi, avec cet air frustré, décontenancé, qui me grimait ? Comment me rafistoler après ce vent monumental ? Je croyais que je te plaisais. Je ne sais pas pourquoi je m’étais fait de tels plans sur la comète.
Les baisers ardents racontaient mille voyages, un monde nouveau, une excursion avec pour unique destination l’ivresse. Oui, l’ivresse était bien là, démontrant comment par quelque magie quelconque naissait un bonheur merveilleux et pur.
J’aurais voulu qu’un trou noir nous fige à l’infini, moi heureux dans la profondeur de tes yeux, et toi installé dans chacune de mes fibres, prier pour que ce bonheur ne cesse d’exister, que la chaleur de ton corps perdure, tu arrivais comme le fils du printemps, le père de l’été, je me trouvais gauche, aveugle et maladroit et tourmenté près de toi. Un vrai débutant. L’amour nous fait redevenir adolescent.
Je ne respirais plus. Tu as pris toute la place, à m’en étouffer. C’était magique. C’était magique, cette authentique faiblesse. Cette intimité à la vue du monde alentour. Cette découverte de nous. L’incontestable envie de s’enjamber, de ne rien en faire. Que la féerie dure.