Alan Turing

Il a changé le cours de la seconde guerre mondiale. En cassant le code Enigma, il a assuré la victoire aux Alliés, et sauvé 14 millions de vies en écourtant la guerre d'au moins deux ans. Il a inventé le concept d'algorithme et la programmation. Il a conçu et fabriqué le premier ordinateur. Il a été condamné à la castration chimique pour perversion sexuelle. Il est mort empoisonné au cyanure en croquant dans une pomme et il pourrait être à l'origine du logo d'Apple. Il a été gracié par la reine Élisabeth II en 2013, soit 61 ans après sa condamnation. Il est devenu un symbole emblématique de l'évolution des mentalités et de la réhabilitation des homosexuels.

« Il », c'est le discret mathématicien Alan Turing, popularisé et remis au goût du jour par les projecteurs de l'actualité cinématographique et éditoriale en 2014. Les raisons ne manquent pas aux nombreux essayistes et aux réalisateurs pour se lancer dans une biographie, ou un « biopic », d'Alan Turing.

Simultanément à la sortie du film Imitation Game de Morten Tyldum en 2014, la biographie du savant écrite par Andrew Hodges en 1992, dont le film s'inspire, est opportunément rééditée, avec l'acteur Benedict Cumberbatch en couverture (choix contestable car commercial et conjoncturel, on trouve le portrait du vrai Turing sur les couvertures des biographies concurrentes). le livre s'enrichit au passage d'une préface et d'un sous-titre alléchant « le génie qui a décrypté les codes secrets nazis et inventé l'ordinateur ».

Il s'agit sans doute de la biographie la plus détaillée à ce jour d'Alan Turing, et le lecteur ne doit pas ménager sa peine pour parvenir au bout de ce pavé de 702 pages, l'essai n'étant pas exempt de quelques digressions qu'il aurait peut-être fallu sacrifier. L'auteur mêle sans transition des considérations d'ordre historique, biographique, scientifique, technologique, philosophique, sans clairement marquer le passage d'un niveau à l'autre, et au risque de faire perdre le fil au lecteur, lequel lecteur peut ne pas vouloir suivre toutes les explications d'ordre scientifique sur la pensée de Turing, d'une rare abstraction, et réservée, sinon aux spécialistes, au moins aux lecteurs suffisamment aguerris.

Néanmoins, on ne peut qu'être ébahi devant une telle somme, d'une ambition inouïe. L'effort de vulgarisation scientifique, l'opiniâtreté de l'enquête et la détermination à traquer et analyser la réalité historique dans le moindre détail sont indéniables. le pari était ambitieux, le prix à payer est d'infliger au lecteur quelques longueurs. Cependant, la vie de Turing est si atypique et si extraordinaire que le lecteur un peu curieux ne peut que s'accrocher.

Après une lecture précédente où il était déjà question de la vie d'Alan Turing, mais décrite de façon outrageusement romancée (cf. ma critique de L'Homme qui en savait trop de Laurent Alexandre et David Angevin), et après avoir vu Imitation Game, le film avec Benedict Cumberbatch – voir le film avant de lire le livre n'était pour une fois pas gênant – je me suis senti récompensé par cette lecture exigeante qui a également eu pour mérite de corriger les erreurs, les impasses et les approximations du film, dont certaines, assez grossières, ne pouvaient passer inaperçues.

Post-scriptum : Si vous ne la connaissez pas encore, je vous recommande la bande annonce du film, qui a été postée sur le site pas votre serviteur.