Tout le problème est là, de la difficulté d'entraîner les enfants vers le savoir et non vers la servitude.
A la fin, je referme le livre à regret, ainsi que l'on referme une fenêtre sur un autre monde, avec pour seule consolation de pouvoir à nouveau en franchir le seuil magique quand il me plaira.
Le monde appartient aux Hommes, mais la nuit appartient au Tigre.
Il en est des livres comme des étoiles dans la nuit, la certitude de pouvoir les contempler à tout moment.
Ils ont tué un félin, un grand léopard à la splendide robe tachetée, dont la dépouille est exhibée en trophée sur le capot de la voiture de tête. Torva parade en saluant la foule avec son chapeau du toit ouvrant. Il possède cet art consommé des hommes politiques qui s'adressent à tous et ne voient personne.
La solitude est le ferment de la sagesse.
Un mouvement furtif attire mon attention du côté de la lisière.
Une ombre, rien qu'un instant... Longue. Massive. Puissante. Elle s'est détachée un court instant du décor de plamiers festonnés de lianes.
Un battement de cils, et plus rien.
Juste quelques feuillages tremblant sous la caresse du vent qui semblent murmurer à l'infini :
- Fuiiiiiis. Fuiiiiiis...
Vous êtes ainsi, Hommes, fascinés par ce qui est médiocre et futile.
Alors que je me tends pour les effleurer, un vent tiède se lève et en agite les ramures...
Un vent qui arrive de la jungle.
Comme l'annonce d'une prochaine nouvelle.
D'un autre drame.
Ce que l'Homme ignore, le Tigre le sait.
J'étais là bien avant que cette misérable peuplade ne descende des arbres pour oser se tenir debout dans les prairies. Je les voyais avancer en colonies serrées et peureuses, tapi dans l'herbe des savanes qui dissimulait mon pelage alors couleur de blé. Dressé sur ses jambes, l'Homme avait beau tendre le cou, il ne soupçonnait ma présence qu'à l'instant où mes crocs se refermaient sur sa nuque.
Il n'a pas changé. Il est toujours faible et vulnérable.