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Critique de gerardmuller


Les particules élémentaires/Michel Houellebecq (Prix Novembre 1998)
C'est un véritable OVNI de l'édition française que ce roman de Michel Houellebecq. Un OVNI savoureux. Un régal bien goûteux et délicieux. Certains ont été jusqu'à en être écoeurés : je les comprends en partie. On aime ou on n'aime pas Houellebecq et les plats qu'il nous sert.
Ce n'est certes pas de la littérature à la Flaubert ou Le Clezio. Mais MH n'a-t-il pas pour principe d'aller dans le sens de cette phrase de Schopenhauer : « La première et pratiquement seule condition d'un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire. »
Ainsi la langue est souvent crue, directe, provocatrice, sans circonlocutions, surprenante, riche de litotes et d'ellipses. Pas de recherche formelle, mais plutôt un style neutre avec quelques vagues cependant !! On ne s'ennuie pas et le passage du coq à l'âne qui déconcerte un temps finit par amuser. On saute allégrement sans transition aucune de la vulve flétrie des soixante huitardes attardées au paradoxe ERP et l'expérience d'Aspect sur la non localisation. Puis du becquetage indiscriminé des pigeons aux activités de substitution. du grand art ! Il y a même des passages romantiques qui traduisent bien la grande sensibilité de l'auteur.
Des descriptions au scalpel comme ont dit certains critiques, une écriture clinique, froide et impersonnelle, souvent technique, un humour grinçant et une caricature factuelle genre bande dessinée : et voilà les armes de MH pour nous tenir en haleine tout au long de ces 300 pages où les thèmes de la misère affective et sexuelle de l'homme occidental, sa solitude existentielle sont constamment sous-jacents. La profondeur de la pensée de l'auteur ne peut alors échapper au lecteur attentif.
« Une fois qu'on a divorcé, que le cadre familial a été brisé, les relations avec ses enfants perdent tout sens. L'enfant, c'est le piège qui s'est refermé, c'est l'ennemi qu'on va devoir continuer à entretenir et qui va vous survivre. » (Réflexion de Bruno)
Le début de ce roman fait état d'un certain nombre d'arbres généalogiques qu'il faudra bien retenir vu le nombre de personnages secondaires qui participent à la vie du récit. Et deuxième point particulier : il faudra s'habituer aux multiples digressions scientifiques ou autres (comme dans La Carte et le Territoire d'ailleurs), qui émaillent la narration. Parfois MH nous offre un véritable cours de sciences naturelles et de physique des particules.
Deux personnages, deux demi-frères pour tout dire, affronte la vie avec des fortunes diverses. Bruno, professeur agrégé qui a connu une enfance perturbée et qui l'âge venu mène une quête quasi permanente du plaisir, grand amateur d'échangisme, et Michel, chercheur en biologie quelque peu illuminé, aux frontières d'une douce folie, taciturne solitaire, asocial sans grande pulsion, sans désir, sans amour.
La misanthropie récurrente de MH ne fait pas défaut à cette histoire. Ses thèmes favoris sont bien là : le déclin de la civilisation dont il rédige une satire cinglante, la déliquescence progressive des valeurs morales, l'atomisation sociale dès les années 70, une analyse à la loupe sans concession et sans illusion, cruelle, cynique, implacable et réaliste de cette société, la dénonciation du libéralisme dans tous les domaines, un certain dégoût du monde dans le cadre d'une métaphysique pessimiste, l'obsolescence inéluctable des objets et des personnes. Les personnages sont obsédés par leur vieillissement et leur décrépitude, leur déclin physique et intellectuel avec « une baisse tendancielle du taux de plaisir », menant à une « entéléchie délétère ».
Plusieurs passages m'ont fait penser à L'étranger d'Albert Camus notamment dans les moments tragiques qui laissent une impression de détachement, d'absence de la part des personnages touchés par l'adversité. La solitude aussi quand l'on considère la vie de Michel : « Sa vie d'homme il l'avait vécue seul, dans un vide sidéral. Il avait contribué au progrès des connaissances : c'était sa vocation, c'était la manière dont il avait trouvé à exprimer ses dons naturels ; mais l'amour, il ne l'avait pas connu. »
Voilà donc un livre, comme disait un chroniqueur, qui donne matière à penser. L'influence qu'ont pu avoir Aldous et Julian Huxley est indéniable quand on considère la teneur de l'épilogue qui vient couronner ce bel édifice bien construit. Tout ce récit constitue en fait une historique du déclin d'une civilisation, celle des dernières décennies du XXé siècle, contée par un narrateur qui vit en l'an 2029, époque qui a vu l'avènement d'une « nouvelle espèce humaine asexuée et immortelle, ayant dépassé l'individualité, la séparation et le devenir » . Les travaux de Michel sur le codé génétique ont finalement abouti à l'homme génétiquement modifié. En effet la réplication d'un « code génétique sous une forme standard structurellement stable, inaccessible aux perturbations et aux mutations a permis l'apparition de cette nouvelle espèce dont toute cellule peut être dotée d'une capacité infinie de réplications successives. »
La conclusion est grandiose ; le débat gravit un échelon et le narrateur de déclarer : « L'histoire existe ; elle s'impose, elle domine, son empire est inéluctable. Mais au-delà du strict plan historique, l'ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce infortunée et courageuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse et vile, à peine différente du singe, qui portait cependant en elle tant d'aspirations nobles. Cette espèce torturée, contradictoire, individualiste et querelleuse, d'un égoïsme illimité, parfois capable d'explosions de violences inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la bonté et à l'amour. ….. » Sublime conclusion !
On ne sort pas indemne de cette lecture.

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