La fausse modestie est la pire des vertus dans les arts : c’est la femme galante qui met un voile pour attirer les regards. Greuze était de bonne foi avec les autres comme avec lui-même ; il défendit toujours les belles choses de ses amis et de ses ennemis. Ainsi, quand fut exposé le Déluge , de Girodet : « C’est tout au plus, disait un journaliste, le tour de force d’un écolier. » « Dites donc d’un maître, » s’écria Greuze avec colère. Il fut le premier à prédire le génie de Prudhon : « Celui-ci ira plus loin que moi, disait-il souvent ; il enfourchera ces deux siècles avec des bottes ce sept lieues. »
Quatre ans après, Greuze fut admis à l’Académie; il voulut siéger parmi les peintres d’histoire; il fit dans ce dessein un tableau qu’on peut étudier au Louvre : Sévère reprochant à Caracalla d’avoir voulu l’assassiner. Greuze manquait de style pour un tel sujet; il échoua ou à peu près. Et pourtant il y a déjà du David dans cette composition. Les académiciens qui n’avaient pas plus que lui le style de l’histoire, puisqu’ils s’appelaient Vanloo, Nattoire, Boucher — je ne parle que des maîtres — le reléguèrent parmi les peintres de genre. Greuze se retira de l’Académie ; il fit contre elle des épigrammes à la façon de celle de Piron, contre l’autre Académie, moins la rime. Il ne voulut plus exposer au Louvre, il lit salon chez lui : « Il n’y a que des enluminures à leur exposition ; c’est dans mon atelier qu’on trouve des tableaux. » En France, on n’est jamais du parti de l’Académie; on s'amusa des malices de Greuze, tout le monde vint à lui. Princes, gens de lettres, grandes dames, c’était à qui le vengerait de l’Académie jusqu’au jour où il fut nommé peintre du Roi.
Toute sa jeunesse fut une lutte : il lutta contre son père, il lutta contre son maître, il lutta contre son temps; il osa peindre des Français en niant la mythologie. Et on était en 1750! Ce fut une révolution dans les ateliers.
La maison de Greuze me rappelle ce temps où il se révéla peintre devant les gravures de Rembrandt, comme Corrége devant les tableaux de Raphaël. Son père, qui était architecte, lui fit dessiner des fenêtres, des temples , des colonnes ; mais Greuze mettait toujours quelqu’un à la fenêtre, sa mère, sa sœur, sa cousine. Il peuplait le temple ; au lieu de faire des colonnes, il dessinait des cariatides. Le père finit par lui interdire toute espèce de figure. L’enfant mit de la colère dans sa rébellion, cette vaillante colère qui est déjà la fièvre du génie. Il se vengea de son père ; le jour de sa fête, il lui apporta son portrait sous la figure de saint Jacques.