Citations sur Un chien à ma table (221)
Puis, on était encore en octobre, sont arrivés des nuages blancs.Les nuages, c'est un peu comme des sécrétions de notre cerveau, on y voit ce qui nous hante.
Face au monde animal, je me sens du même bord.Et très rassurée de l'être. C'est à un tel point qu'il m'arrive, vis à vis d'un humain, de me réfugier dans le regard du chien qui l'accompagne. Dans certaines situations, je me taillerais vite fait avec le chien. Sortir d'un bond de moi rejoindre le chien.
Tu es devenue fragile.
Nous l'étions tous les deux.C'était flagrant.D'étranges vieillards abritant un enfant.Des vioques.J'aime beaucoup ce mot, vioque, il dit l'effarement insoluble de l'enfant qu'on est resté.
( p.71)
Il faut qu'un romancier ait de sérieuses affinités avec un loup, qu'il lui livre de nombreux combats, le laissant pour mort ou devenu fou, afin qu'il puisse nous parler de nos propre gouffres.
( p.85)
S'il avait été encore en vie, Tolstoï défendrait les rivières, les forêts, les prairies, comme autant de personnes, esclaves du capital, exténuées, mourantes sous le joug des humains.
( p.84)
Grieg pouvait avoir autant de rides qu'il voulait, il resterait à jamais à mes yeux un vieux gamin intraitable, adoré, réfractaire à tout pouvoir, à toute bataille, à tout engagement, qui me disait: Ne jamais se laisser prendre par une idée, par un courant, par un groupe, par une vague. Aussitôt se cavaler. Toujours se cavaler .Personne au cul !
Il fallait le trouver, ce lieu-dit.Une bizarre maison à l'air têtu le gardait en lisière. Basse, trapue, à colombages. Délaissée depuis longtemps. Un potager, dont on pouvait encore deviner les traces, entre ses hautes bornes de granit, l'accompagnait.Pourquoi est-ce que toute ma vie j'ai autant aimé les choses abandonnées, et particulièrement les maisons ?Tomber sur une maison abandonnée, c'est le rêve. On désire aussitôt s'y introduire, l'explorer, escaliers, chambres, grenier.
( p.53)
Il y a un chien, ai-je crié à Grieg qui se trouvait dans son studio situé à côté du mien , à l'étage. Chacun son lit,sa bibliothèque, ses rêves ; chacun son écosystème. Le mien, fenêtres ouvertes sur la prairie. Le sien, rideaux tirés jour et nuit sur cette sorte de réserve, de resserre, de repaire, de boîte crânienne, mais on aurait pu dire aussi de silo à livres qu'était sa chambre.
Souvent, la nuit, quand je me réveillais, je pensais à mon travail de sentinelle. Mets-toi une lampe sur le front, une frontale pour éclairer ce qui t’entoure, voilà ce que je me répétais. Éclairer ce que nous allons perdre. Éclairer la perte. Voilà le travail.
Je suis un fantôme racontant les souvenirs d’un monde qu’il a connu. Les livres à venir seront sans doute très différents. Peut-être seront-ils seulement des questions rageuses : Est-ce qu’il y avait des jacobées à fleurs jaunes ? Est-ce qu’il y avait des loups dans les forêts ? Des ours ?On pouvait vraiment courir dans l’herbe pieds nus ? Nager dans des lacs ? Que veut dire : L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ?
Mais peut-être, les livres à venir n’auront-ils plus aucune curiosité, plus aucun regret. Le passé effacé.
Alors est-ce qu’ils seront encore des livres ?