Notre esprit se met dans les pas de l'auteur, apprend à entendre la musique spécifique de ses mots et, peu à peu, si la magie fonctionne, il décolle, se met à voler, et finit par participer à cette prérogative divine qu'est la création. Oui, par la littérature, il nous est loisible d'expérimenter la part du divin qui se trouve en chacun de nous (...)
Pour qu’advienne son « je », on doit le faire exister au milieu de plusieurs « nous ». Avec toujours, plus ou moins proches et menaçants, des « ils ».
Le roman ne peut naître que là où la survie est garantie. Dès que leur survie est en jeu, les humains ont tendance à adhérer sans réserve aux fictions qui sous-tendent et renforcent leur identité.
Il est beau de voir un être se détendre et s’épanouir sous l’effet de l’intérêt que nous lui portons. Notre intérêt est comme un soleil : la fleur s’ouvre peu à peu et offre ses couleurs.
Le penchant inné de notre cerveau pour la narrativité, sciemment exploité depuis toujours par les Eglises, l’est de plus en plus par les médias, les partis politiques, les grandes entreprises et l’institution militaire. Cela s’appelle, en anglais, le storytelling. « Les faits parlent, dit un cynique spécialiste de la chose, mais les histoires font vendre ».
Sous mille formes, sur notre lieu de travail, dans les rues de nos villes, sur l’écran de nos téléviseurs et de nos ordinateurs, l’on nous raconte des histoires prétendument « vraies » et l’on nous demande de nous sentir par elles concernés, bouleversés, personnellement impliqués. Propagande ; désinformation. Par l’émotion que suscitent ces fables simples et édifiantes, l’on nous convainc facilement d’acheter tel produit, de voter pour tel candidat, de s’identifier à telle entreprise, de soutenir telle cause …
La narrativité fait avaler bien des couleuvres.
« Je ne crois pas au hasard » : un excellent résumé de l’histoire de notre espèce.
Aucun groupement humain n’a jamais été découvert circulant tranquillement dans le réel à la manière des autres animaux : sans religion, sans tabou, sans rituel, sans généalogie, sans contes, sans magie, sans histoires, sans recours à l’imaginaire, c’est-à-dire sans fictions.
Dans son état normal, notre cerveau se livre (à notre insu)à des activités tout à fait étranges et étonnantes.
Dans ce domaine comme dans bien d'autres, c'est l'anormal qui nous éclaire sur le normal...
Nous seuls percevons notre existence comme une trajectoire dotée de sens (signification et direction). Un arc. Une courbe allant de la naissance à la mort. Une forme qui se déploie dans le temps, avec un début, des péripéties et une fin. En d’autres termes : un récit.
La pureté du sang est une des fictions les plus puissantes et les plus pernicieuses qui soient.