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Critique de ChatDuCheshire


Intéressant de voir Siri Hustvedt publier, peu de temps après son mari Paul Auster (avec " 4 3 2 1"), sa propre version de la "fausse-vraie" autobiographie, instruite par le temps qui a passé et le besoin de l'introspection rétrospective qui nous vient à "a certain age"...
Auster a choisi d'écrire sur quatre déclinaisons d'un personnage qui aurait pu être lui, dont les destins sont déterminés par sa fameuse "musique du hasard", mais dont aucun n'est vraiment lui. Dans le cas de Hustvedt, dont le personnage porte les initiales "SH", on sait également qu'il ne s'agit pas d'autobiographie au sens strict car un certain nombre de détails de sa véritable vie ne correspondent pas à ceux de sa narratrice (son père n'était pas médecin mais professeur de littérature, son mari, on le sait, n'est pas un physicien, on devine que certaines scènes, comme celle du dîner où son personnage cloue le bec à un insupportable macho condescendant ordinaire, sont de celles où l'on refait sa propre histoire en s'inventant la réaction que l'on aurait tant voulu avoir mais que l'on n'a pas eue sur le moment) mais, néanmoins, comme SH, Siri Hustvedt a vécu cette jeunesse désargentée de l'apprentie écrivaine dans le fascinant New York de la fin des années 70.
Son livre, qui est une sorte de jeu de mémoires, la narratrice dans la soixantaine dialoguant par souvenirs interposés avec la jeune fille des années 70 dont elle a retrouvé un journal intime de l'époque, est aussi un hommage à Elsa von Freytag -Loringhoven, cette artiste dada proto punk dont l'histoire de l'art officielle s'est jusqu'il y a récemment attachée à effacer le nom. Et pour cause : Marcel Duchamp, cette "institution" de l'art officiel lui a sans doute volé son oeuvre considérée aujourd'hui comme la plus essentielle de l'art conceptuel : le fameux urinoir ou "Fontaine". Mais Siri Hustvedt ne s'arrête pas à cette révélation, toujours largement ignorée du grand public, elle fait aussi observer que si l'oeuvre avait été attribuée à la baronne Elsa dès le départ, elle n'aurait sans doute pas eu le retentissement qu'elle a eue sous le nom de Marcel Duchamp.
Siri Hustvedt a raison bien sûr. Nous vivons toujours dans un monde d'insupportable condescendance vis-à-vis de tout ce qui a une origine féminine. Les femmes ne peuvent jamais y gagner, même lorsqu'elles ont de l'assurance qui, aux yeux des hommes, se transforme en arrogance. Il faut être "douce", "gentille" etc. pour espérer une quelconque écoute et encore celle-ci sera "bienveillante". On attend de la "petite dame" qu'elle s'inscrive dans le discours admis, la rébellion et la transgression ne sont pas pour elles. Or Elsa von Freytag-Loringhoven était rébellion et transgression. Il faudra attendre un siècle pour qu'elle soit redécouverte, et encore...
L'histoire d'Hustvedt elle-même n'est pas exempte de paradoxe. Il s'agit d'une femme dotée d'une intelligence vraiment exceptionnelle qui a épousé, au début des années 80, un jeune écrivain alors encore largement inconnu. Auster est devenu immensément célèbre par la suite, Hustvedt moins mais est tout de même une auteure très respectée et lue. Les livres d'Auster se lisent plus facilement, sont davantage axés sur l'idée de raconter une bonne histoire avec ce ressort du hasard qui l'a rendu célèbre. Les livres d'Hustvedt sont plus difficiles à lire : la narration est généralement plus chaotique, les analyses esthétiques, psychologiques y abondent, l'histoire est (justement) ré-écrite d'un point de vue féminin ou féministe. On sort repu d'une bonne histoire racontée avec finesse par un Auster, on sort quelque peu épuisé de la lecture d'un bouquin d'Hustvedt mais avec la sensation d'être plus intelligent(e)/savant(e) qu'auparavant. le paradoxe de Siri Hustvedt est que l'on se demandera toujours, qu'elle le veuille ou non, quelle aurait été sa renommée si elle n'avait pas été "l'épouse de", un petit peu à l'instar de Elsa von F. dont on parle aujourd'hui du fait du vol de son oeuvre par l'illustre Marcel D. Pour ma part je l'ai découverte via Paul Auster dont j'étais totalement fan dans l'adolescence et je pense ne pas être la seule à avoir abordé ses oeuvres de cette façon. D'un autre côté sa carrière a probablement également souffert de cette mise en proximité car nombre de lecteurs d'Auster ne goûtent probablement pas son côté (plus) complexe et surtout féministe. Personnellement je trouve vraiment admirable que le couple Auster-Hustvedt ait tenu contre vents et marées dans un tel contexte.
Donc, comme d'habitude avec Hustvedt, j'ai lu ce livre-ci avec une admiration parfois teintée d'irritation face à ce côté que je trouve un poil trop intello. Mais j'espère que mon conditionnement éducatif ne lie pas cette légère irritation au fait que Siri Hustvedt soit une femme. A cet égard l'un des grand mérites de Siri Hustvedt est de nous rendres attentifs-ves à cette possibilité. J'ai trouvé en ce livre-ci une qualité de tendresse et de bienveillance qui ne sont pas toujours aussi présents dans l'oeuvre d'Hustvedt. Bref, comme d'habitude avec elle : un peu sur les rotules en fin de lecture mais contente de l'avoir lue...
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