Et puis ç'avait été cette nuit...On avait l'impression qu'elle était faite de goudron fondu qui vous dégoulinait dessus. En ce mois de juillet, il faisait chaud partout, mais dans Hold Street, c'était vraiment l'enfer. Buddy essayait en vain de trouver le sommeil ; les draps étaient moites et collaient à son corps. P'pa n'était pas à la maison, car il travaillait la nuit. Les deux chambres ressemblaient à un four dont tous les bruleurs auraient été allumés. Finalement, Buddy prit son oreiller et enjambant le rebord de la fenêtre, sortit sur l'escalier d'incendie, pour voir si l'on y respirait mieux.
Buddy dut raconter son affaire une seconde fois, mais la répétition ne la rendit pas plus facile à dire. L'homme se contenta de le regarder. Dans son esprit, Buddy avait imaginé que, son récit à peine terminé, se déclencherait une sorte d'alerte générale, une ruée de tous les occupants du commissariat vers les voitures de police dont les sirènes hausseraient leur clameur au milieu des ordres frénétiquement hurlés. C'était toujours comme ça que les choses se passaient dans les films. Mais, dans la vie réelle, l'homme assis derrière le bureau se contentait de le regarder.
La femme regarda longuement Buddy. [...] Il y avait quelque chose dans ce regard qui vous transperçait. C'était comme si la mort vous avait regardé. Jamais encore Buddy n'avait vu un regard pareil, si calme, si profond, si froid, si dangereux...
Quand il va revenir à lui, il nous flanquera les flics aux fesses!
Son autre monde n'avait ni frontière ni limites. On pouvait y faire ce qu'on voulait, aller n'importe où. Il vous suffisait pour cela de rester assis, bien tranquillement, et de penser, pour inventer à mesure. Le monde de l'imagination. Buddy y faisait beaucoup de choses, mais il apprenait à les garder secrètes, car on lui disait qu'il était trop grand maintenant pour ça, et on lui flanquait des taloches en le traitant de menteur.
Buddy était seul maintenant. Seul avec ses ennemis, seul avec la mort toute proche.