La mort avec précision ou, bienvenu au service administratif de la mort. Pas de noire Faucheuse ici mais des shinigami (littéralement dieu de la mort en japonais), fonctionnaires de base d'une vaste administration. C'est qu'il y a de quoi faire! Et encore ne s'agit-il ici que du Japon. Chaque mort d'un humain (sauf en cas de suicide ou de maladie mortelle qui n'est pas du ressort de cette agence) est soumise à examen pendant sept jours avant l'heure fatidique par un shinigami. Celui-ci prend contact avec le futur ou la future décédé(e), avant de rendre son rapport qui consiste en un ou deux mots: apte (à mourir) ou pas apte (donc sursis).
China - du moins est-ce le nom qu'il porte dans la première histoire - est un shinigami. C'est par lui qu'on découvre son métier et les humains qu'il est ainsi obligé de côtoyer. Parce que franchement, il ne voit pas grand intérêt aux humains et à leur vie. Néanmoins c'est un fonctionnaire consciencieux qui mène son travail avec sérieux à défaut d'envie.
Chaque récit qui compose cet ouvrage forme une nouvelle à part entière où le dénominateur commun est notre shinigami. Inutile de se l'imaginer sous les traits du génial Ryuk de Death Note. Plus prosaïquement, il "descend'' sur Terre sous forme humaine. Pas toujours la même, ça dépend du dossier à traiter.
La mort avec précision est un livre très intéressant à plusieurs niveaux. Déjà la façon d'aborder la mort comme un travail administratif, avec ses fonctionnaires plus ou moins consciencieux, les chefs de service qui énervent, le bureau de communication des dossiers dont il faut arracher la moindre bribe d'informations etc, tout ça est original et doté d'une touche d'humour (un peu noir forcément).
Ensuite, les humains dont s'occupe le narrateur représentent autant d'histoires complètes. On découvre avec lui leur vie, leurs peines, leurs haines aussi parfois. En l'espace de quelques pages pour chacun, l'auteur réussit à leur donner une dimension quasiment romanesque. Qu'il s'agisse d'une jeune employée timorée et au bout du rouleau, un yakuza de l'ancienne école, un vendeur de vêtements amoureux à sens unique ou encore un jeune homme névrotique qui vient d'assassiner sans raison un autre type, leur existence, leurs pensées, leurs désarrois, ce que leur inspirent les concepts de vie et mort, on le découvre en même temps que le shinigami. Si lui, ça le laisse froid, moi j'ai adoré ces rencontres humaines, avec justement toutes leurs caractéristiques humaines.
Compte tenu de la personnalité singulière du narrateur, il ne faut pas s'attendre à de grandes envolées d'émotions de sa part. le ton reste au contraire froid et factuel. Administratif, quoi.
Isaka Kôtaro m'avait déjà fort agréablement surprise et emballée avec sa Prière d'Audubon. pierrot-la-gravité était un autre exemple de son talent. Il le remet à nouveau dans son roman/recueil. Les morts en devenir sont très différents l'un des autres, tout comme leur entourage, leur façon de vivre, par conséquent la manière de traiter chaque récit diffère également. Tantôt on se croirait chez
Agatha Christie, tantôt dans un bon vieux film de yakuzas. C'est très plaisant à lire. Et, malgré le métier du narrateur, pas du tout morbide. Après tout, la mort, c'est aussi dans la vie.