Dans les batailles qui se livraient autour du Salon, Camille, en effet, n'attrapait ni horions, ni louanges. On ne se battait ni pour ni contre lui.A part un ou deux accidents, ses essais étaient reçus par le jury. Mais on ne les regardait guère. On le prenait pour un brave homme d'artiste sage, sans originalité, presque banal. Qui se doutait qu'une fois tombé le fracas des partis en lutte, ce modeste, discret et délicieux poète apparaîtrait comme des plus authentiques représentants de l'esprit français, un des plus purs génies du siècle et de tout notre art national et que son oeuvre, bien des années après et lorsque tant de gloires bruyantes auraient passé, garderait Un merveilleux privilège de fraîcheur et de jeunesse?
A l'art l'artiste sacrifie avec une passion à la fois austère et délicieuse les joies les plus naturelles et les plus chères: tantôt celles de l'amour, tantôt celles de la famille,souvent les unes et les autres. Si ce héros de l'égoïsme sacré pour l'art est un tendre (et comment ne le serait-il pas ? qui plus que lui a besoin de ce que Shakespeare appelait the milk of human tenderness?) son sacrifice n'en est que plus beau.
Tel fut, d'un bout à l'autre de sa vie, Corot, avec sa bonté, sa bonhomie, son désintéressement, sa charmante naïveté.
La grande date de sa jeunesse est le jour de l'automne 1825 où, à vingt-neuf ans, affranchi enfin de la tutelle d'un maître, il partit pour cette Italie qu'il devait tant aimer et qui allait être pour lui une source d'inspiration inépuisable. Ce premier séjour dura trois ans. Trois ans de joies, d'émerveillement, de flâneries fécondes, de travail heureux, et tout de suite des chefs-d'oeuvre: simples études, croyait-on alors, pour nous compositions parfaites où est enclos tout un monde de sensations et de sentiments.
Ce privilège de fraîcheur et de jeunesse que l'oeuvre garde longtemps après la mort de son auteur, Corot l'eut en partage pour lui-même jusqu'aux derniers jours où il put tenir le pinceau.
L'artiste est naïf comme un enfant et comme un amoureux. Les choses qui l'émeuvent ou l'enchantent sont toujours neuvespour lui comme s'il les voyait pour la premièrefois et comme si personne ne les avait vues avant lui. La forme la plus désintéressée, la plus pure de l'amour, tout le monde convient que c'est l'amour maternel.