L'enfance sait que tout est possible, nous l'oublions.
L'écriture est un véhicule tout terrain, et le langage un transport en commun dont on n'est jamais sûr qu'il arrive à bon port.
Mais le charme est rompu. Les fées ont déserté. Nous nous acheminons vers un monde sans ensemble. Tu verras, l'esprit piétine, et puis s'y perd.
Depuis qu'il est parti, je me sens une moitié, une moitié de moi-même qui court après une ombre qui ne reviendra plus.
Je touche là le fondement du conflit passionnel, tragi-comique, qui nous opposa toute notre vie. Pour mon père, il n'y avait qu'un Jardin : lui.
Très vite, dès l'âge de dix ans, pour tenter d'exister, je décidai qu'il y en aurait au moins un second : moi.
Il me détestait de vouloir prendre sa place. Il m'aimait follement d'être un autre lui-même.
Nous étions toujours ensemble ou toujours fâchés, mais jamais en eau calme.
- Un peu anxieux ?
Le Nain Jaune répondit par un saut vertical qui fit trembler toute l'armature métallique de son lit.
- Je souffre, dit-il.
- Non, répondit Sauvage, mais vous ressentez beaucoup, ce qui revient au même.
Les lieux que j'ai aimés sont pour moi enracinés dans les êtres et, quand ils disparaissent, rien ne ressemble plus à rien, le décor s'abîme et puis se défigure.
Pourquoi faut-il que nous ne réussissions à nous parler d'amour que par-delà les tombes ? Seule la mort nous autorise à entrer dans notre vérité. Il y a sans doute de la pudeur dans tout cela ; j'y vois surtout une immense infirmité. Mais les grands livres ne sont-ils pas toujours des jambes de bois ?
Préface d'Alexandre Jardin
Retranché du monde, tout au fond de son lit, calé sur plusieurs oreillers, environné de journaux et de téléphones qu'il regardait sonner sans plus les décrocher, il me tint ce langage la veille de sa mort...