Mille questions se bousculaient dans son texte. Pourquoi la plupart des couples conçoivent-ils l’existence à deux comme un forfait de devoirs implicites qui, à coup sûr, ratatinent la passion? Il ne saisissaient pas la raison mystérieuse pour laquelle quasiment tous les époux se croient obligés de dormir chaque soir ensemble, de dire à l'autre à quoi ils ont employé leur journée, de justifier leurs absences.....N'est-il pas permis d'aimer à la carte, sans créer ces liens invisibles qui, à la longue, font de l'amour une geôle? se demandait-il avec une maturité qui me surprit. Qui a dit qu'il ne fallait fêter Noël qu'une fois par an et que seuls les samedis soir étaient faits pour danser?
Pauvre Elke....elle ignorait que les hommes se rassurent en formulant des paroles dont ils sont eux-mêmes les dupes. Ils crient de pseudo-certitudes en espérant que l'écho les convaincra.Il faudrait le dire aux petites filles; mais souhaitaient-elles l'entendre?
Mes dernières hésitations s'étaient dissipées le matin même lorsque j'avais découvert dans ma chevelure plusieurs cheveux blancs. Ce second coup de semonce m'avait talonné. Il était temps de rompre avec mon quotidien réglé. Je voulais VIVRE avant qu'on ne m'allonge sous une dalle de marbre dans le cimetière où reposaient déjà mes parents.
La rencontre de Manon et du Petit Sauvage
Ainsi que l'avait fait le Petit Sauvage, je commençai à tracer dans le sable avec mon talon droit le plan d'un appartement ; Manon en était le centre. Au bout de trois ou quatre minutes, elle ouvrit les yeux et constata qu'elle se trouvait dans une maison imaginaire. Son regard annonçait un esprit pénétrant ; et il ne mentait pas. Tout dans sa physionomie exprimait la gourmandise : le dessin de ses lèvres, ses narines en éveil, ses pommettes, ses dents fines...
« Si vous voulez sortir, dis-je timidement, il faut prendre le premier couloir à droite, puis vous traversez la salle à manger, le salon, et la porte d'entrée est ici.
- Et... je suis où, là ? demanda-t-elle en souriant. Sa voix me fit tressaillir; j'entendais celle de Fanny.
- Dans votre salle de bains, répondis-je.
- Je jouais à ce petit jeu quand j'étais gamine, sur cette plage, avec un petit garçon plus âgé que moi...
- Je sais.
- Vous savez ? fit-elle, ironique.
- J'ai un don de voyance, répliquai-je avec sérieux. Je peux même vous dire qu'à cinq ans on vous appelait Manouche. Vous aviez une nurse anglaise, un petit vélo blanc et vous portiez toujours un chapeau de paille.
Interloquée, Manon se redressa :
- On se connaît?
- Vous ne croyez pas à la voyance?
- Non, si... enfin, pourquoi pas, mais... qui êtes- vous ?
- Vous avez une cicatrice sous le pied droit. Vous vous êtes ouvert le talon sur un rocher, le jour de l'anniversaire de vos sept ans.
- Si c'est de la voyance, chapeau.
- Et vous n’aviez vraiment rien à foutre du petit garçon avec qui vous jouiez sur cette plage.
- Non, là vous faites erreur. C'était mon premier amour. J'étais folle de lui mais je le lui cachais bien!
Je retirai mes lunettes de soleil. Manon me dévisagea. Sans me reconnaître tout à fait, elle manifesta un léger trouble en croisant mon regard et, fugitivement, parut déceler dans mes traits les vestiges d'une figure familière.
- Ce petit garçon... c 'était moi.
Manon demeura interdite quelques secondes ; puis elle dit, à mi-voix :
- C’est vous ?
- Oui, je suis votre ancien et nouveau voisin. Je viens de racheter la Mandragore. Bonjour Manon.(…)
Alexandre Eiffel s'était écarté de sa morale qui tenait en une maxime : on ne se doit qu'à l'enfant qu'on a été.
Ainsi que l'avait fait le Petit Sauvage, je commençai à tracer dans le sable avec mon talon droit le plan d'un appartement ; Manon en était le centre. Au bout de trois ou quatre minutes, elle ouvrit les yeux et constata qu'elle se trouvait dans une maison imaginaire. Son regard annonçait un esprit pénétrant ; et il ne mentait pas. Tout dans sa physionomie exprimait la gourmandise : le dessin de ses lèvres, ses narines en éveil, ses pommettes, ses dents fines...
« Si vous voulez sortir, dis-je timidement, il faut prendre le premier couloir à droite, puis vous traversez la salle à manger, le salon, et la porte d'entrée est ici.
- Et... je suis où, là ? demanda-t-elle en souriant. Sa voix me fit tressaillir; j'entendais celle de Fanny.
- Dans votre salle de bains, répondis-je.
- Je jouais à ce petit jeu quand j'étais gamine, sur cette plage, avec un petit garçon plus âgé que moi...
- Je sais.
- Vous savez ? fit-elle, ironique.
- J'ai un don de voyance, répliquai-je avec sérieux. Je peux même vous dire qu'à cinq ans on vous appelait Manouche. Vous aviez une nurse anglaise, un petit vélo blanc et vous portiez toujours un chapeau de paille.
Interloquée, Manon se redressa :
- On se connaît?
- Vous ne croyez pas à la voyance?
- Non, si... enfin, pourquoi pas, mais... qui êtes- vous ?
- Vous avez une cicatrice sous le pied droit. Vous vous êtes ouvert le talon sur un rocher, le jour de l'anniversaire de vos sept ans.
- Si c'est de la voyance, chapeau.
- Et vous n’aviez vraiment rien à foutre du petit garçon avec qui vous jouiez sur cette plage.
- Non, là vous faites erreur. C'était mon premier amour. J'étais folle de lui mais je le lui cachais bien!
Je retirai mes lunettes de soleil. Manon me dévisagea. Sans me reconnaître tout à fait, elle manifesta un léger trouble en croisant mon regard et, fugitivement, parut déceler dans mes traits les vestiges d'une figure familière.
- Ce petit garçon... c 'était moi.
Manon demeura interdite quelques secondes ; puis elle dit, à mi-voix :
- C’est vous ?
- Oui, je suis votre ancien et nouveau voisin. Je viens de racheter la Mandragore. Bonjour Manon.
Ma décision lui parut assez déraisonnable pour être sage.
Mais je préférais souffrir dans mon île plutôt que de m'éteindre doucement sur un lit d'hôpital, ivre de drogues, dépossédé de moi-même.
Le coeur n'a-t-il pas ses raisons qui se moquent de la raison ?
A vrai dire, Manon n'était pas entièrement belle. Pris isolément, quantité de détails dans sa figure s'opposaient à ce qu'elle fût aimée. Sa denture était désordonnée, son regard de loup pouvait inquiéter et ses traits étaient presque irréguliers; mais il se dégageait de ses imperfections une sensualité qui m'affolait.