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Critique de spinozoo


Une demie étoile, si j'avais pu, j'aurais mis un quart d'étoile, voire pas d'étoile du tout ! Je n'avais jamais pensé proposer ici un livre que je n'aimais pas, pourtant c'est intéressant de se poser cette question : pourquoi je ne l'aime pas ? Et, là, c'est l'archétype même du livre que je n'aime pas ! Alors, allons-y !
Jelinek, écrivaine autrichienne, lauréate du prix Nobel en 2004 nous propose dans Lust, un regard décalé sur un homme, directeur d'une usine de papier en Autriche, sa femme et son fils. Ils sont désignés comme ça, très rarement par leurs prénoms. C'est un regard décalé car non réaliste ou naturaliste, comme peut l'être un roman de Zola ou De Maupassant, ici, on pense plutôt à Beckett ou Ionesco. C'est un premier élément qui rend la lecture difficile - ceux qui trouvent cette lecture aisée nous racontent des histoires ! Je dois avouer que j'ai arrêté à la moitié à peu près, pour le reste, j'ai lu des passages ici et là, dont la fin. Je me suis rendu compte qu'on pouvait très bien lire le livre à l'envers, commencer par la fin puis remonter les paragraphes à l'envers, ça ne change pas grand-chose à la compréhension ! On peut aussi ouvrir au hasard et lire un passage : on va tomber neuf fois sur dix sur une scène de sexe, ou une scène pornographique si on veut. Là, j'ai pensé à Sade, donc quelque chose qui met fortement mal à l'aise : c'est un deuxième élément qui rend la lecture difficile, le malaise que l'on ressent.
L'histoire tient en peu de mot. le directeur, un homme, sans doute quinquagénaire, mais rien ne le dit, dirige une usine de papier, et lorsqu'il revient à la maison « consomme » sa femme, il est impossible de dire « fait l'amour », il ne s'agit nullement d'amour, mais bien de consommation violente, c'est un prédateur. Alternent à cela des considérations « sociales » ou politiques concernant les ouvriers, les derniers de corvée, ceux qui souffrent et sont exploités, ainsi que d'autres péripéties secondaires. L'objet du livre, c'est bien de montrer l'exploitation de l'homme par l'homme, l'exploitation de la femme par l'homme. La femme, dans ce livre, comme le dit le bon docteur Lacan « n'existe pas ». Elle est juste un réceptacle pour que l'homme puisse se soulager. Les scènes de sexe sont évidemment exemptes de toute forme de plaisir, et de sentiment humain, c'est une mécanique qui se met en route, comme à l'usine, une machine qui a besoin de perforer, de pénétrer, de se soulager. Rien d'humain là-dedans !

Donc, la question c'est au fond qu'est-ce qui fait qu'on aime un roman ou pas ? Je crois qu'il est d'abord nécessaire que puisse s'établir un lien dialogique entre le lecteur, l'auteur et l'oeuvre, ou entre au moins deux de ces éléments. Un lien dialogique, pour moi, c'est un aller retour, une forme de compréhension réciproque : tiens, ce qu'il dit là me parle, me touche, provoque des émotions, du plaisir… Toute chose qui peut permettre au lecteur de se dire : je suis partie prenante de ce que je lis, je ne suis pas un acteur passif, quelque chose se passe en moi au fil des pages, je me sens proche (ou pas ) de l'auteur, ses mots me touchent, me bouleversent, m'effraient, et surtout me donnent à penser . Je fais partie avec l'auteur et avec l'oeuvre d'une sorte de communauté dialogique. Tout simplement, un dialogue silencieux s'installe, et, en tant que lecteur, j'ai une place, un rôle à jouer.

La question qui se pose avec ce livre, c'est : quelle place Jelinek accorde t-elle au lecteur ? Lust ressasse et retourne toujours les mêmes questions : la prédation, la consommation de la femme et accessoirement des ouvriers par un grand prédateur (on pourrait rajouter blanc, capitaliste). On est, comme chez Beckett dans un autre monde parallèle au notre. C'est un monde sans émotions positives : ici tout n'est que haine, brutalité et violence. Noirceur totale. Ce n'est pas de l'ordre de la tragédie. La tragédie permet l'espoir, la tragédie permet qu'il y ait des héros lumineux. Elle est profondément humaine. Chez Beckett, on trouve de l'humour, de la drôlerie, et même de la fraternité. Ici tout est inhumain.
Alors, on peut dire qu'il s'agit de faire réfléchir aussi à cette question de la domination masculine et à celle du capitalisme qui broie les êtres. Certes, pourtant, nombre d'ouvrages sociologiques, historiques ou autres, permettent cette réflexion, et ce beaucoup mieux, car ici, il y a un effet de sidération qui bloque toute pensée, et un effet de rejet tant le dégoût est fort. La sidération empêche de penser.
Alors, pourquoi cette demie étoile ? Et bien, c'est vrai que Jelinek mérite peut-être son prix Nobel car elle sait écrire de jolies phrases avec de jolis mots. Quelquefois même, on croit pouvoir percevoir un petit souffle lyrique… Oh, ça ne dure pas longtemps, on s'aperçoit vite que ce souffle, en fait, n'est qu'ironie et cynisme.
Tout écrivain s'inscrit consciemment ou non, dans une filiation historique, politique, philosophique. Ici, je ne crois pas que Jelinek fasse une oeuvre « utile » pour faire prendre conscience de faits sociaux de domination, je crois qu'on est juste dans le pur néant, dans la pure négativité, et son écriture donne une idée de la jouissance qu'elle trouve à cette négativité.
Un autre prix Nobel, Albert Camus s'est véritablement intéressé aux affaires humaines, et quand on le lit, on se sent concerné, on se sent pris par la main en tant qu'humain, et on a envie d'avancer, de penser, de construire avec lui, sans rien méconnaître des souffrances des êtres, sans rien méconnaître de la difficulté de vivre.
Ici, rien de tel, on a juste envie de fermer le livre, envie de se réveiller vite, comme après un cauchemar, et de passer à autre chose.
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