La trilogie de l'héritage, tome 1 : Les cent mille royaumes

Je ne suis plus celle que j'étais autrefois. Ce sont eux qui m'ont fait ça, ils m'ont ouvert la poitrine et arraché le cœur. Depuis je ne sais plus qui je suis.
Je dois faire l'effort de me souvenir.

Je retins mon souffle au moment où les colonnes vibrèrent et où les briques explosèrent dans le néant, puis soudain, Trois Fenêtres surgirent. Pas celle du Soleil uniquement, mais celles de la Lune et du Crépuscule également. Je ne savais pas qu'elles étaient faites pour être vues ensemble. Nous avions tant perdu. Les statues des êtres parfaits, différents et familiers à la fois qui nous cernaient me donnèrent envie de pleurer : les frères et sœurs défunts de Sieh, les enfants loyaux d'Enefa, assassinés comme des chiens pour avoir cherché à venger le meurtre de leur mère. Je vous comprends. Tous autant que vous êtes, je vous comprends tellement…

"Que de colère", souffla le Seigneur de la nuit, sa voix aussi profonde qu'un gouffre glacé. Puis soudain, il se tint tout près, si près. Juste derrière moi. Si jamais il me touchait, je crierais. « Oh oui. Commande- moi, douce Yeine. Je suis ton arme. Un seul mot de ta part, et je lui ferai endurer une souffrance à côté de laquelle la mienne paraîtra bien pâle. »
Ma colère s'apaisa d'elle-même. Je pris une inspiration lente et profonde, puis une autre, pour me calmer. Désamorcer la haine. Ne pas avoir peur face à ce que le Seigneur de la nuit était devenu à cause de ma négligence. Je concentrai mes pensées sur l'obscurité et sur le silence, ne répondant pas. Ne m'y risquant pas. Au bout d'un long moment, il y eut un vague soupir désappointé. Plus loin de moi, cette fois ; Nahadoth était retourné à l'autre bout de la pièce.

Sans prendre le temps d'évaluer les dommages, je bondis en arrière et dégainai mon couteau. J'arrivais à me servir de mes mains, bien que le sang rendit le manche glissant. Je m'accroupis en posture de défense, prête à me battre.

"Tant quil fait jour, vous avez une chance. Partez. Courez !"
Il me poussa ; je trébuchai. J'entendis un hurlement inhumain derrière moi, comme les cris d'une centaine de loups, d'une centaine de jaguars et d'une centaine de vents hivernaux qui auraient tous voulu me dévorer. Puis le silence retomba, ce que je trouvai bien plus effrayant encore.
Je courus.
A perdre haleine.

Certains sang-pur ont parié qu'il se tuerait avant le bal.
-J'imagine qu'il n'y a rien de plus intéressant faire par ici.
T'vril me jeta un regard en biais, comme pour évaluer s'il pouvait en dire plus. « Certains ont également parié que vous vous tueriez avant. »
Le vent emporta mon rire. «Quelle est ma cote ? Croyez-vous qu'ils me laisseraient miser moi aussi ?