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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce livre est une merveille. Fiévreux, magnifiquement bien écrit, et, comme toute littérature qui se respecte, capable de nous projeter dans des univers mentaux auxquels nous ne pourrions avoir accès sans elle.
Dans ce récit sur l'effondrement de l'empire aztèque, rien qui ne soit une énigme. Cette civilisation inouïe de raffinement et de cruauté mêlés tout d'abord, qui arrache le coeur des jeunes gens pour que les hommes prennent leur part du travail divin dans la marche du monde. Mais aussi la disparition inexplicable d'une société riche et organisée qui aurait pu tuer jusqu'au dernier les quelques centaines d'Espagnols partis de Cuba par désoeuvrement avant d'aborder la côte mexicaine, assoiffés d'or et imbus de gloriole. L'énigme enfin de ces Chrétiens qui furent nos semblables et qui bouleversèrent l'ordre du monde à jamais, faisant des occidentaux les vainqueurs monstrueux de la mondialisation.
Car, pas plus que de nous introduire dans la civilisation aztèque, il n'était facile d'obliger le lecteur à se reconnaître dans ces soudards imperméables à la beauté qui fondent les oeuvres d'art pour en faire des lingots mais dont il est impossible de ne pas admirer la bravoure et le goût du jeu: Jenni campe un Cortés prodigieux, bouillant comme Achille, rusé comme Ulysse. Face à lui: Montezuma. Pilier du monde, garant de son équilibre, fin stratège démuni dès lors que les Espagnols ne se sentent ni humiliés ni redevables de recevoir de somptueux cadeaux sur lesquels ils ne peuvent enchérir, Montezuma croira obéir aux volontés des dieux en refusant de mettre à mort ceux qui annoncent un nouvel ordre de l'univers.
Innocent est celui qui raconte l'histoire: il a suivi Cortés qui l'a mené jusqu'à l'or, dans un pays où il a même trouvé l'amour. Mais le récit commence par la fin, quand les désirs comblés n'apparaissent plus que comme un piège glaçant où victimes incapables de sauver leur pays et bourreaux incapables de bâtir sur les ruines engendrées par eux se rejoignent en une longue agonie.
"Nous étions partis au bord du monde, et nous avons découvert ce que personne n'aurait soupçonné: une part supplémentaire, dont nous nous sommes emparés. Il serait si doux de vivre en ce pays s'il n'était peuplé de tant de morts. Nous avons attrapé du vent. Nous avancions les mains ouvertes, nous croyions sentir quelque chose, nous l'avons saisi. Et quand nous avons rouvert nos mains, il n'y avait qu'un peu de poussière rouge qui s'est envolée."
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Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011 pour « L'art français de la guerre », son premier roman !) poursuit sa quête de vérité sur l'épopée tragique des guerres coloniales. Il nous transporte cette fois dans les cales d'un navire voguant à travers l'Atlantique vers Hispaniola et plus loin vers ce qui deviendra le Mexique.
Voici donc comment 500 guerriers d'infortune prirent part à l'expédition partie de Cuba en février 1519 sous le commandement d'Hernan Cortès et conquirent au prix d'immenses souffrances des vainqueurs comme surtout des vaincus l'empire aztèque …
Cette histoire, qui emprunte largement à la vérité mais nous fait vivre l'expédition de l'intérieur, est contée par le secrétaire du rusé et diplomate conquistador : Juan, rebaptisé Innocent par Cortès. Un jeune hidalgo devenu prêtre, chassé d'Espagne vers Cuba après avoir séduit une femme.
Innocent se souvient. « J'ai vu tout ça. Nous l'avons fait, et on l'oubliera si je ne le raconte pas, personne ne le croira quand il le lira, mais nous l'avons fait. » Il déplore déjà les ravages de la conquête parmi le peuple asservi. L'effondrement démographique dû aux combats inégaux – la supériorité technologique des conquistadors avec leurs armes à feu, la présence des chevaux, les épées d'acier face aux tranchants d'obsidienne, mais aussi l'irruption de maladies inconnues – désole les bâtisseurs d'empire fatigués.
Du sang, des flammes, des chairs consumées, des moustiques, des paysages fangeux, des chevaux pataugeant dans la boue, des victimes immolées roulant au bas des pyramides des temples, les costumes chatoyants de plumes des Amérindiens, leurs sandales d'or, leur accueil chargé de nourriture, leurs ruses éventées …
L'écriture est d'une beauté saisissante. Les descriptions de combats comme de l'ambiance des soudards au repos, les personnages féminins : la belle et calme Elvira et Marina, la Malinche, qui sert d'interprète à Cortez et devient son amante, qu'il porte sur la croupe de son cheval dans sa magnifique tunique brodée.
C'est surtout une réflexion lucide sur le pouvoir, la cupidité, la soif de l'or, l'humiliation, la disparition d'une civilisation au nom d'une religion proscrivant naturellement les sacrifices humains et le cannibalisme. C'est un livre âpre, violent, résonnant de bruit et de fureur, d'incompréhension réciproque de deux mondes, de désolation et de désenchantement des vainqueurs. Un livre qui impressionne, à tous les sens du terme.
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D'emblée nous sommes plongés dans une atmosphère d'étrangeté et de déréliction. le narrateur évoque un soleil tranchant, qui dissèque, un air d'une pureté extraordinaire à laquelle s'oppose la saleté et l'état de délabrement du village dont il est propriétaire, où des êtres fantomatiques semblent mobiliser leurs dernières volontés à disparaître, à force de résignation, de passivité morbide, d'une capitulation qui le rend furieux. Même la femme qui partage sa couche y git dans une apathie que rien, même les pathétiques tentatives de rapports sexuels du narrateur, ne parvient à vaincre. Il voit se rétrécir l'étendue de ses terres, qui, faute de gestes pour les cultiver, se craquellent.
"La conquête des îles de la Terre Ferme" est l'histoire du long et aventureux cheminement qui a abouti à cette existence mortifère, dont il n'attend plus rien.

Juan de Luna a refusé de répondre à ce patronyme dès ses treize ans, en réaction à un père haï, pour lequel il représentait la fin d'une lignée à la fierté et à la bravoure défuntes. Devenu moine par opportunisme, il gagne Séville où son amour obsessionnel pour les femmes sonne le glas de ses aspirations religieuses, puis s'embarque pour un Nouveau Monde alors en pleine découverte, à destination de Cuba. Sa rencontre avec Hernán Cortés, qui le rebaptise Innocent, scelle son destin.

Aux côtés du Conquistador, faisant office de scribe, il est le témoin privilégié de l'extraordinaire et sanglante épopée que constitue la conquête de Mexico, motivée une obsession : trouver de l'or. de l'or pour sauver le trône de Charles Quint, mais aussi pour apaiser l'inextinguible fièvre qui s'empare de la troupe hétéroclite qui intègre l'expédition du charismatique Hernán Cortés : artisans, paysans, hidalgos désargentés, bergers, des hommes aventureux et entreprenants ayant comme point commun d'avoir moins que ce qu'ils désirent et la hargne pour aller le prendre.

Les espagnols s'installent dans un premier temps sur la côte Atlantique de l'actuel Mexique, où ils commercent un temps avec la population locale, et fondent la ville de Villa Rica de la Vera Cruz.

Ayant entendu parler de Mexico, où trône le légendaire et tyrannique Montezuma, qui tient toute la région sous son joug, ils n'ont de cesse de solliciter une entrevue avec l'empereur. Les arguments des indiens (une route longue et dangereuse, ponctuée de déserts brulants et de montagnes au froid mortel, ainsi que l'intouchabilité de Montezuma) ne les dissuadent pas longtemps.

C'est un texte dense, qui entremêle avec une parfaite maitrise fidélité historique et touche fictionnelle. Un texte aussi passionnant que désespérant, qui reconstitue le choc de la confrontation entre deux civilisations, confrontation condamnée au désastre par l'avidité et la certitude de leur supériorité des européens.

On le sait, c'est une terrible et triste Histoire, et Alexis Jenni ne nous épargne aucun de ses aspects sanglants, qu'ils soient d'ailleurs du fait de l'une ou l'autre partie -sacrifices quotidiens de jeunes gens pour faire advenir le lever du soleil et pratiques cannibales pour les aztèques, viols d'indiennes et assassinats de masse par les espagnols. Mais on apprend aussi dans ce profus roman que les européens furent secondés dans leur guerre contre Mexico par certaines tribus indiennes qui voyaient là l'occasion de se libérer de l'emprise de Motezuma ; qu'une amérindienne ex-esclave d'un cacique maya, surnommée La Malinche, participa de beaucoup à la victoire de Cortès dont elle fut à la fois l'amante, la conseillère, et la mère d'un de ses fils ; qu'en arrivant à Mexico, les conquistadors furent éblouis par la grandeur, la splendeur et la propreté de la ville ; que le combat ne pouvait mener qu'à la défaite des indiens, habitués à des guerres mesurées dont les seuls buts – la prouesse et la rançon- imposaient d'épargner les vaincus. Il était pour eux inconcevable que les européens se battent pour tout obtenir : leurs terres, leurs corps, leurs âmes, et que pour ça, ils étaient capables de les tuer jusqu'au dernier…

Le narrateur, quant à lui peu porté sur la violence, timide et discret, plus spectateur qu'acteur, se fait le conteur du courage comme de l'ignominie qui ont poussé ces hommes à traverser une mer inconnue, vaincre des armées, détruire des navires pour s'empêcher de rentrer, s'emparer d'un l'empereur, supporter le gel et l'étuve, et tout cela dans un seul but : devenir riches, que très peu d'entre eux auront finalement atteint. Lui-même aura abdiqué sa part d'humanité dans cette aventure qui fera du Nouveau Monde un monde défunt.


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