Avec ce troisième tome, je retrouve un coup de coeur très net pour les aventures d'Oru. Nous sommes toujours avec les jeunes Helleïres en route vers leur forêt, l'Ellaris ; pour ce faire, ils doivent emprunter un chemin détourné, marcher toujours à couvert dans les bois et forêts, rencontrant de multiples dangers, notamment lorsqu'ils traversent une région presque entièrement déboisée, couverte de marécages et de zones cultivées, et que des tremblements de terre se déclenchent... Heureusement, Oru accroît ses pouvoirs et le génie du rocher bleu continue à leur apporter son aide magique, avec parcimonie mais quand cela est nécessaire.
Parallèlement à ce cheminement des jeunes Shindoens qui doivent rester
cachés, car leurs iris verts sont pour eux d'un grand danger, nous abordons, davantage encore que dans les précédents tomes, un propos géopolitique sur les royaumes du sud du pays, les alliances qui se préparent secrètement, la volonté des ambassadeurs du Kahi et du Sesheng ; nous voyons en temps réel se tisser les intrigues, et éclater les conflits. Cette fois-ci, nous sommes principalement en Mefeir, royaume dirigé par un roi aux moeurs dépravées, Tlelatoemoc : les Kahis règnent en maîtres sur son palais, se servant du gynécée pour entretenir l'ivresse continuelle du roi, d'orgie en orgie, et l'utiliser comme une marionnette servant les intérêts de Phereib, roi du Kahar, le Royaume marchand. Bien sûr, les grandes familles nobles se rebiffent et préparent une insurrection, à commencer par le fils aîné du roi, Zemitopan, ambitieux poussé par le goût du pouvoir, et son frère, moine-soldat dit Crocs-de-Jikagar, redoutable guerrier-jaguar.
Pendant que le groupe d'Oru fait une halte nécessaire dans la capitale de la Mefeir, Popahuakan, à cause de la blessure de Haku - ils sont hébergés dans un château abandonné par une troupe de jeunes gens sans foi ni loi, originaires comme eux du Sah, vivant sous l'égide de Chinjiba, qui les a reconnus pour des Elleïres mais les a pris sous sa protection - la tension monte dans les rues de la ville, les Partis s'affrontent et les premières échauffourées ne tardent pas. Oru et les enfants resteront-ils en sécurité ? Parviendront-ils à quitter la ville, alors même que Chinjiba s'est épris d'Ussuma, et ne voudra peut-être pas si facilement les laisser repartir ?
L'environnement décrit par
Jules Jéromon est saisissant de réalisme, il ne néglige aucun détail, que ce soit les affaires du pays, la diplomatie, que la religion, la langue, la littérature et l'art pictural de chaque royaume. Cette fois, les éléments culturels et linguistiques font penser aux traditions aztèques plus que japonaises, mais ce n'est pas vraiment gênant, on s'immerge vite dans ce monde imaginaire, d'autant plus que plusieurs narrateurs prennent le relais du récit. L'auteur a une approche humaniste des troubles humains, il n'ignore pas les crimes et autres perversités que l'homme est capable d'extérioriser, mais à travers Oru, il cherche la nuance, en ce qu'Oru lui-même est devenu un personnage complexe, qui lutte contre ses propres démons, notamment la soif de sang, la vengeance, et souhaite à présent être un bon chef pour ces jeunes Helleïres, en commençant à apprendre le Livre des Anciens, et à réfléchir à ce qu'il voudrait réaliser en arrivant à Faahneï-Iuzu, leur village dans la Forêt. Comme si ces différents niveaux ne suffisaient pas, Oru lui-même invente des contes, les soirs de veillée, de même qu'il écrit des poèmes, souvent retranscrits au fil de son récit.
La série a pris de l'ampleur, et, je le pense, trouvé sa vitesse de croisière. Il faudra sans doute plus de quatre tomes (actuellement publiés) pour venir à bout de cette saga, mais... tant mieux après tout !
Jules Jéromon parvient dans ce troisième tome à un tel degré de maîtrise que le lecteur ou la lectrice n'a qu'une envie : suivre cette épique marche vers la terre des ancêtres, et voir l'Ellaris et ses mystères.