Il aurait dû se sentir heureux. Il s'en revenait en vainqueur. Il ramenait Eurydice des Enfers. Elle serait bien-tôt à la surface de la terre, rayonnante de joie parmi les siens trop tôt quittés. Et une vie de bonheur l'attendait, tous les deux. Une vie où le serpent n'aurait jamais mordu, et où tout cela n'aurait été qu'un mauvais rêve. D'où provenait alors cette sourde inquiétude qui le gagnait à mesure qu'ils s'approchaient du monde des vivants.
La nuit était claire. Une nuit fraîche de fin d'été. Orphée comprenait maintenant le sens de la parole d'Hermès à abord de l'Argo : " Le moment n'est pas encore venu. " Il avait cru que le faux jardinier évoquait sa mort à lui, son dernier voyage. Il s'agissait en réalité de tout autre chose : cettedescente aux Enfers n'était pas celle qui clôt la vie humaine. C'était un voyage avec retour.
La musique d'Orphée eut d'abord pour effet d'apaiser les coeurs. Les hommes échangèrent des regards surpris. Les sons jaillissaient, harmonieux, et s'ordonnaient peu à peu en
un rythme régulier et prenant. Les Argonautes, ragaillardis, se saisirent des cordages. Le mouvement de l'un ne contrariait plus celui de l'autre, et l'Argo recommença à bouger. Il fut hâlé ainsi en cadence et, bientôt, flotta sur la mer.
La poésie imposa bientôt sa vérité et sa grâce contre l'illusion. Le chant limpide d'Orphée submergea l'autre, le balaya comme une vague !