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Apprendre à se Noyer » de
Jeremy Robert Johnson traduit par
Jean Yves Cotté (2021,
Le Cherche Midi, 160 p.) est le troisième livre de ce nouvelle collection, qui fait suite « Lot 49 », collection d'excellents auteurs américains, également aux Editions du
Cherche Midi.
Initiée par
Christophe Claro et
Arnaud Hofmarcher, la collection a débuté avec «
La Femme Intérieure » de
Helen Phillips, traduit par
Claro (2020,
Le Cherche Midi, 320 p.). Puis «
Affamée » de
Raven Leilani, traduit par
Nathalie Bru (2021,
Le Cherche Midi, 320 p.). On retrouve donc des auteurs qui ont déjà une certaine expérience de l'écriture dans des revues comme Granta ou McSweeney. le titre même de cette collection fait tout naturellement référence au titre éponyme de Thomas Pichon (2014, le Seuil, 352 p.).
Jeremy Robert Johnson effectivement n'en est pas à sa première histoire. Il a déjà quelques pépites à son actif dont « Extinction Journals » (2006, Swallowdown Press, 84 p.), « Skullcrack City » (2015, Lazy Facist Press, 344 p.), « Entropy in Bloom » (2017, Night Shade Books, 280 p.), déjà roman culte révolutionnaire avec 16 nouvelles toutes plus horribles les unes que les autres. On constate d'après les titres et maisons d'édition, qu'il ne s'agit pas le livres « grand public », mais plutôt à mi-chemin entre la science-fiction et l'horreur.
A signaler qu'il a reversé intégralement ses droits à « Portland Homeless Family Solutions » pour aider les sans-abris nombreux dans cette ville. Une couverture originale de Matthew Revert.
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Apprendre à se noyer » donc, est un livre, mi initiatique, mi-poétique, non pas que ce soit un manuel pour lecteurs dépressifs, ou savoir comment mettre fin à ses jours. Cela se passe dans la forêt équatoriale en Amérique du Sud. Forêt fantasmée car on y parle l'espagnol bien que l'on ne soit pas loin de l'océan. Cela pourrait aussi se passer en Amérique Centrale, que je connais moins, Nicaragua où jungle et océan se côtoient. Ou se trouvent aussi des poissons bizarres, des requins taureaux, sorte de requins d'eau douce, et des caïmans. C'est le monde d'une tribu, et d'une autre, les Urutrus, qui naturellement ne s'entendent pas entre elles. C'est aussi le monde du « « Chemin du Messager » là devant, et il mène à la mort ». et de plus, c'est le territoire de « la Cuja », mi-sorcière, mi-chamane, aussi bien jeteuse de sorts que guérisseuse.
Un père qui emmène son jeune fils pour pêcher au fleuve, avec peut être la promesse pour le fils de pêcher avec son arc. Roman d'initiation donc, dans cette tribu, où il faut vaincre les dangers que cache la forêt, mais aussi ses plantes médicinales, dangers que recèle le fleuve aussi, pourvoyeur de nourriture pour la tribu. Une première partie très belle, presque bucolique, si le danger n'était pas tapi à chaque pas. Et bien sûr, le drame arrive.
Cela m'a fait pense au «
Sukkwan Island » de
David Vann (2009, Gallmeister, 192 p) qui narre l'initiation d'un fils à un camp de terrain et de pêche en Alaska. Un roman dont je concluais ma critique par une phrase, qui pour moi résumait bien le livre en reprenant une phrase du livre. Surtout on se rend compte que ce pauvre père avait tout faux (« il y a quelque chose qui a merdé »). Etait-ce le père ou l'auteur ? La comparaison devient alors une opposition de tout, l'histoire, la narration, les sentiments, même les personnages.
Là, c'est d'abord bien mieux écrit, en phrases courtes tout d'abord, puis un passage où la typographie change, avec une justification centrale du texte, puis retour au récit et à la confrontation avec la Cuja. Par contre, ce nom sonne plus portugais, version féminine de Cujo. Qui est dérivé du mot portugais ancien cuś qui signifie ressentir une émotion profonde.
Une fois passé le drame, on constate que le chagrin du père est bien réel. de même qu'il anticipe les réactions de la mère, puis de la tribu toute entière. En tous cas, le fleuve n'est pas en cause » le fleuve leur donnait tant de choses, mais le fleuve n'était pas à prendre à la légère ». Quant à la fin….En bref, une histoire racontée de façon magnifique. C'est court, une centaine et demi de pages, bien écrit, prenant. Et cela se lit d'une traite, deux heures à peine, sans pouvoir lever le nez. Tout y passe, le chagrin, l'agonie, la mort, la perte, la douleur, l'angoisse, la culpabilité. Et le tout est très bien décrit et ressenti.
« Il n'était rien. / Il regarda dans toutes les directions. : Il n'y avait rien. / Oh, mon Dieu. / Mon Dieu non. Rien. / Rien. Rien. le garçon : parti. / Son garçon. / Mort »