C'était hier mon enfance, hier ma sœur. C'est tomber dans un trou, glisser sans réussir à s'accrocher, c'est avoir le cœur qui déborde du pull, sursauter au moindre son.
Mon instinct de survie est plus fort que le lien. L’amour pour ma mère patauge, atone, quelque part au fond de moi.
(p.44)
Je sais que rien ne m'émeut jusqu'au bouleversement, jusqu'à déliter ma colère. Que les fondations de mon enfance ne sont pas assez solides pour que je tienne debout. Je pense à la terre des jardins qu'on retourne au printemps, à ce que disaient les vieux du village : "Y a pas moyen, t'as beau rajouter du fumier, ça prend pas. La terre n'est pas bonne."
Il me taquine, ça ne peut pas être autrement. Qu'est-ce qui est pire ? Etre un salopard ignare ou un homme subtil, mais suffisamment lâche pour ne pas voir qu'une gamine de huit ans a été rossée ?
Je sais que je n'ai jamais trouvé de sens. Je n'ai pas fait semblant, j'ai vécu un jour derrière l'autre sans qu'aucun ait pu effacer la peur et la rage de mon enfance.
Il me regarde avec une tristesse terrible. Il sait que son heure point. Avec ses croyances, l’enfer l’attend. Ou alors, malin comme il est, son repentir de chien battu, ses déclarations d’affection pour ma mère ne servent qu’à le laver de ses péchés. Dieu pardonne. Pas moi.
L'attirance obsédante, je ne l'avais pas vue arriver, ni reconnue. Personne ne m'avait fait cet effet jusque-là. Personne ne me le ferait plus jamais, mais je ne le savais pas encore. Mon corps avait deviné bien avant moi.
(p.93)
(..) J'ai entendu le hoquet de Marine, derrière mon dos, qui ravalait des sanglots. Filmé, ça aurait filé la chiale à n'importe qui. Je ne suis pas n'importe qui. Je suis la fille d'un monstre, je suis la femme qui trompe, je suis la femme qui a frappé, je suis la femme sèche de l'intérieur, je suis la femme aux entrailles pourries, je suis la fille qui n'a sauvé ni sa mère ni sa soeur, je suis la fille d'un meurtrier, (..)
(page 187)
Je ne me suis jamais habituée à la violence. Pire, ne plus la subir me plonge dans un désespoir caverneux. C'est comme de l'huile bouillante déversées sur mes blessures jamais cicatrisées. Durant des jours, je suis mutique, hébétée, le moral ravagé.
On sait tous que les paroles ne sont pas forcément la vérité, mais qu'elles peuvent modifier la réalité.