Citations sur Dix âmes, pas plus (66)
- Tu passes vraiment ton temps à lire.
Il rit.
- Oui, c’est assez drôle, en fait. Autrefois, je n’ouvrais jamais un bouquin. Mais je crois que c’est une bonne manière d’élargir son horizon, de devenir un homme meilleur.
Elle se rendit compte du silence qui régnait, comparé à Reyjavik. En dehors du léger murmure des vagues, on aurait entendu une mouche voler.
Gunna et Gunnar l'accueilleraient sans doute, mais avait-elle vraiment envie de les voir ? Ils ne lui accordaient pas la moindre attention, ne s'intéressaient pas à elle, ne voulaient parler que de Skàlar, du passé, de l'église, de la pêche, de ce putain de poisson et de cette putain de mer...
Mais j’aime la tranquillité de ce lieu, son atmosphère unique. Le fait d’avoir du temps pour les choses, et la nature sauvage partout où on se tourne…
Il fallait supporter l'hiver, l'obscurité, le froid, le climat hostile. Ce vent humide, souvent très violent. Pas d'endroit où s'abriter. Et lorsque la neige venait s'y ajoutait, c'était un véritable enfer. Vous le découvrirez bien assez tôt.
J'ai mangé assez de ce fichu poisson pour toute une vie. De l'églefin pané, de l'églefin bouilli, de l'églefin grillé. Dieu-tout-puissant, je ne sais pas combien de temps on peut supporter ça .
Pendant des années, les soldats avaient dû endurer le froid sur ces mêmes terres. Ici, le pire ennemi était probablement la nature.
— Ici, tout tourne plus ou moins autour du poisson. La pêche est plutôt bonne dans le coin, c’est grâce à ça que nous pouvons vivre. S’il n’y avait pas de poisson, je ne serais pas là à écrire des livres, et tu ne serais pas là pour enseigner. C’est le poisson qui régit l’existence. Ça et la météo. Foutue météo. Les marins doivent pouvoir accéder à la zone de pêche, et revenir chez eux. À Skálar, on prie beaucoup pour que la prise soit bonne et le temps clément ; parfois aussi pour des broutilles du quotidien…
Sa voix avait perdu toute trace de légèreté, elle était visiblement très sérieuse. Una se demanda à quoi ressemblerait la météo en plein hiver, au bord de l’océan, à l’extrême nord-est d’un pays au climat déjà difficile.
Un froid glacial et pénétrant, un vent violent et menaçant.
Et les ténèbres.
Un peu plus loin, elle arriva à un croisement - Fontur à gauche, Skálar à droite - et fut soudain prise d'un vertige. Je ne veux pas vivre ici, songea-t-elle. Mais elle n'allait tout de même pas abandonner maintenant.
Tandis qu'elle approchait de Skálar, le brouillard s'abattit d'un coup sur le paysage alentour, effaçant la frontière entre le ciel et la terre, la projetant au coeur d'une insaisissable toile de maître. Sa destination semblait de plus en plus lointaine alors qu'elle se dirigeait vers le néant, où le temps n'avait plus de prise. Peut-être était-ce justement ce qui l'attendait : un lieu où le temps ne voulait plus rien dire, où le jour et l'heure n'avaient aucune importance, où les gens ne faisaient qu'un avec la nature.
Elle se demanda si ce rêve était l’effet de la fatigue et de la nervosité à la perspective d’un nouvel emploi ou s’il cachait quelque chose de plus profond, si la peur qui l’habitait depuis toujours n’avait pas rejailli par un moyen détourné.
(La Martinière, p.60)