Citations sur Une femme en contre-jour (175)
La scène ressemble à une photo qu’elle aurait pu prendre. Composition parfaite. Le banc, avec ces deux arbres nus, de chaque côté, au garde-à-vous, figés dans l’engourdissement de l’hiver. Les lignes de fuite du lac en arrière-plan. Et cette vieille femme sur ce banc, dans son manteau informe, avec ses chaussures au cuir râpé, ce chapeau de feutre abîmé par trop de pluies, trop de saisons. A côté d’elle, une boîte de conserve, ouverte. La scène semble avoir été créée pour elle, en noir et blanc.
Cette photo-là, elle ne la prendra pas. Elle n’en prend plus depuis longtemps. Où sont-ils, que sont-ils devenus, d’ailleurs, tous ces clichés pris chaque jour pendant ces dizaines d’années, par milliers, par dizaine de milliers ? Elle n’en a pas vu beaucoup.
Au cours des années cinquante, entre deux emplois, dès qu'elle le peut elle parcourt les Etats-Unis, Texas, Floride, Californie, Illinois, et le Canada, l'Amérique latine. Organisée, audacieuse, téméraire, comme peu de femmes se permettent de l'être dans ces années-là. Le temps des routards n'est pas encore venu, l'Amérique célèbre la femme au foyer, la mère, l'épouse accomplie, souriante et épanouie en compagnie de son réfrigérateur, de sa cuisinière et de sa panoplie de mixers. Comme Vivian est loin de cette imagerie ! Elle est seule. Elle est libre. Elle court le monde.
(p. 102-103)
[ fin des années 1910 ]
Lui aussi est un enfant du rêve américain. Pour lui aussi, il y a eu un bateau. La vieille Europe construit la jeune Amérique, elle lui envoie des muscles, des énergies et des talents. On y arrive avec des envies de revanche, des soifs de réussite, avec la rage au ventre d'une vie meilleure, et ce ventre est creux, bien souvent. On y débarque avec deux valises et sa force de travail. On croit à la chance. La réalité ne ressemble pas forcément au songe qu'on a chéri. On serre les dents.
(p. 44)
Tout au long de sa vie, Vivian Maier, n'est qu'une vérité qui se dérobe.
[...] j'ai redouté tous les écueils. Celui du travestissement d'une biographie "romancée", installé dans la toute-puissance de l'invention; celui d'une vie fantasmée, nourrie de mes envies d'y voir ce que je désire [...] p.145-146
Ni peser, ni imposer mon "moi". Qu'il nourrisse mon écriture, sans cannibaliser ce que j'essaie d'apprivoiser. Qu'il soit terreau, humus, et non fleur carnivore. Il me faut dire combien je me sens proche de l’œuvre de Vivian Maier [...] p. 147
This is a work of fiction. Names, characters, business, places, events, locales, and incidents are either the products of the author’s imagination or used in a fictitious manner. Any resemblance to actual persons, living or dead, or actual events is purely coincidental and is not approved by The Estate of Vivian Maier, the Maloof Collection, or Howard Greenberg Gallery.
Début de l’histoire. John Maloof va en effet inventer Vivan Maier. La révéler,au sens photographique du terme. Naissance et résurrection d’une artiste de génie. Naissance d’une énigme.
Certaines photos l’intriguent. Le hantent peut-être. Tant de visages, d’instants de vie, d’inconnus qui semblent proches. Une bouleversante humanité y circule, et aussi une absolue maîtrise de la prise de vue.
Les raisons qu'on peut avancer sont nombreuses : peur du refus, peur de l'échec, peur de se confron- ter au jugement d'autrui, peur d'être dépossédée de son euvre. Crainte de ne pas être prise au sérieux, d'être considérée comme une simple ama- trice, crainte d'être méprisée, simple employée de maison, simple bonne d'entants, crainte de ne pas savoir présenter son travail à des professionnels. On peut multiplier les explications à l'infini. On ne saura jamais. Vivian a conscience de son talent, c'est certain. Le reste nous échappe.
[...] Son travail se focalise sur les visages, le portrait, et sur les exclus, les pauvres, les abandonnés du rêve américain, les travailleurs harassés, les infirmes, les femmes épuisées, les enfants mal débarbouillés, les sans domicile fixe.