Nos vies en flammes

Parce que c'était comme ça que cet endroit était parti en sucette, quand les gens bien qui avaient vu le bateau prendre l'eau avaient refusé de boucher les trous avec leurs doigts. Ils avaient été trop nombreux à se taire et à ne rien faire, à se tenir en retrait et à regarder le monde se casser la gueule.

Quand l'exploitation forestière avait cessé et que les montagnes s'étaient retrouvées aussi nues que la lune, des familles avaient fait leurs valises et s'étaient rendues dans l'Ouest, dans des endroits comme l'Oregon et l’État de Washington où les arbres étaient encore intacts. Si vous faisiez un bond de soixante ans en avant, ça avait été la même histoire quand les fabriques de papier avaient fermé,..... (...). Des étrangers conduisant de belles voitures et portant de beaux costumes faisaient de belles promesses d'emploi, puis repartaient avec leur portefeuille en peau d'autruche bien garni une fois que tout ce qui pouvait être pris l'avait été.

L'idée de tuer quelqu'un lui était aussi étrangère que la sobriété

C’était l’Amérique. La notion de justice était une plaisanterie. Si un homme qui faisait ce boulot s’encombrait des subtilités du système judiciaire, il avait autant intérêt à se coller son arme de service au fond de la gorge et à en finir.

Les cheveux sombres et l’œil bienveillant, il avait le visage qui tremblotait quand il riait. Il n'avait jamais eu l'attitude dure de la plupart des types en uniforme, et c'était peut-être pourquoi il avait réussi à faire carrière. N'importe quel frimeur pouvait fendre des crânes et effectuer des arrestations, mais les gros coups de filet se bâtissaient sur les relations.

Quand un homme perd une femme de la sorte, le temps n'est plus qu'une question d'avant et d'après.

À en croire la radio, les bois s'étaient embrasés à proximité du terrain de camping, à l'endroit où la forêt devenait une zone de chasse. Les pompiers volontaires avaient coupé des pare-feu et l'incendie était contenu, mais ces temps-ci le mot "contenu" n'était que relatif. Toute la région était complètement sèche. Dès qu'un incendie s'éteignait, les braises portées par le vent allumaient le suivant, brûlant des pans de terre qui se retrouvaient noirs après son passage. Honnêtement, c'était incroyable que ça ne se soit pas produit plus tôt. Trente années en tant que forestier le lui avait appris. Des décennies de mauvaise gestion avaient rendu les forêts hautement inflammables. N'importe qui avec une once de bon sens aurait dû le voir venir.

Parfois Raymond Mathis se réveillait et Doris était toujours vivante. Quand il avait de la chance, il en restait persuadé pendant quelques minutes, mais la plupart du temps il n'en avait pas et il ne mettait qu'une ou deux secondes à se souvenir. Ce matin-là, il sut que sa femme était morte dès qu'il ouvrit les yeux.

C'est étrange comme dans ce monde tout partait parfois en couilles, alors qu'à d'autres moments les étoiles s'alignaient comme si vous étiez né avec un fer à cheval dans le cul.

Qu’était un monde sans conséquences?