Au coeur du silence

Il brandit le mégot de cigarette qu'il avait ramassé
pour le lui montrer (...). Ils se penchèrent pour étudier les mégots comme s'il s'agissait des Manuscrits de la mer Morte, des papyrus couverts d'une écriture indéchiffrable, cherchant à tout prix à en extraire du sens.

Il ne se souvenait de rien de tout ça.
Il était vrai qu'ils étaient partis de nombreuses fois en vacances au ski, et qu'il devenait difficile, au bout d'un moment, de distinguer les souvenirs ; mais Zoé trouvait dérangeant qu'il ait tout oublié.
- Où il est passé, ce séjour ? se demanda Jake. Pourquoi je me souviens des autres, mais pas de celui-là ? Ce n'est pas comme si mes souvenirs étaient un dvd tombé derrière l'étagère...

Parce que deux personnes qui s'aiment ne se mettent pas à former un seul cerveau. Et il n'y a aucune raison de souhaiter ça, d'ailleurs. Penser pareil, savoir les mêmes choses. Au contraire, c'est important de rester séparés, de rester deux personnes distinctes et de s'aimer quand même. L'un est le violon, l'autre est l'archet.

Ils se laissaient mutuellement beaucoup d'espace. Au fil du temps, leurs conversations se faisaient de plus en plus courtes, mais de plus en plus lourdes de sens. Parfois, Zoé ne savait plus si Jake avait réellement parlé à voix haute, ou si elle avait tout simplement deviné ce qu'il pensait. Intersubjectivité. Leurs pensées s'emboîtaient parfaitement, comme des cristaux de neige hexagonaux.

Se souvenir de toute notre vie, ou de la vie qu'on a perdue...C'est comme essayer de vider une boîte sans fond.

En quoi était-ce agréable d'être riche, si l'on pouvait obtenir tout ce que l'on souhaitait sans hésiter un seul instant ? Il ne pouvait y avoir aucune satisfaction à posséder quoi que ce soit, si aucun effort n'avait été consenti pour l'acquérir.

J'ai toujours considéré la vie comme un cadeau. De la part de qui, je l'ignore...

Elle avait longuement réfléchi à la manière de donner aux choses l'apparence de la normalité. C'était le seul moyen de préserver leur santé mentale.

Une force surnaturelle avait soufflé sur la terre, la transformant en parfaite pièce montée, et eux deux se trouvaient à présent perchés au sommet, comme des petits mariés en massepain.

Zoé voulait s'arrêter pour récupérer leurs affaires ; Jake s'y opposait car les chutes de neige devenaient menaçantes, et la couche de brouillard s'opacifiait de minute en minute. La visibilité s'était déjà réduite à moins de vingt mètres.
- Il nous faut nos passeports, chéri, et il y a des choses que je refuse de laisser là-bas. Allez Jake. Deux minutes.
- Si ces deux minutes doivent nous coûter la vie, je te tue.
- Ça me paraît sensé.