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Citations sur Un chant dans l'épaisseur du temps (60)

SANS ISSUE

1

Les choses sont claires, ou simples, ou
ni claires ni simples, les jours qui suivent
les jours de pluie, quand c'est
encore
l'hiver et qu'un soleil annonce déjà un autre
climat. Les choses, pourtant, ne changent rien
au cours de la vie, que l'on sache ou non
si c'est l'hiver, ou l'été, ou
encore
autre chose ; et du fond de celui que nous
nous souvenons d'être, dans un temps qui peut être
encore
le nôtre, une image surgit, où
notre être se révèle comme quelque chose de nouveau,
divers
et cependant identique à celui que nous avons été.

2

Un jour, pourtant, comme si le ciel avait changé
que le soleil n'était pas le même, que les nuages avaient
apporté
un autre horizon en eux,
peut-être avons-nous pu voir ce visage
qui a surgi par moments dans le miroir
de la mémoire ; peut-être que le monde qu'il portait
contenait un appel au départ, auquel
il n'avait pas été possible de résister… Et tout
cela instantanément : car,
ensuite,
le soleil est resté le même, les nuages
se sont défaits en pluie, le jour a oscillé
entre l'été et l'hiver ne laissant aucune hypothèse
de choix.

3

L'indécision se résout au fond des couloirs
des vieilles maisons. Mais il n'y a plus de vieilles
maisons, et
les couloirs aboutissent à des murs fermés,
des espaces sans écho, des miroirs sans vitre
où réfléchir ton visage.

p.28-29
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POÈME

La pointe du compas, qui
marque le centre invisible,
ne chante pas comme le bec pointu
de l'oiseau qui est au cœur du
chant qui l'occupe. Et
pourtant, le compas tourne
comme si des ailes le faisaient
bouger ; et il dessine sur le papier,
le cercle, que dans l'air
l'oiseau suggère.

p.181
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Poème

« Le vent a soufflé avec trop de force, as-tu dit,
c'était comme si un dieu avait soufflé depuis l'horizon » ;
et ce souffle a emporté les feuilles des arbres,
chassé les nuages, pénétré les fenêtres du rêve,
bousculant les images et les phrases. Je ne sais pas,
de fait, si la voix qui nous réveille, la nuit, a
un destinataire en particulier. Bien que je me lève,
guette le couloir, entrouvre les volets de bois,
nul n'apparaît depuis la ténèbre. Les vieilles maisons, en province,
ont des habitants inattendus : des visages qui se confondent
avec le brouillard des miroirs ; des bras que la mousse
de l'ombre a corrodés.

p.101
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POÉSIE

D'où vient-elle – la voix qui
nous déchira de l'intérieur, qui
apporta la pluie noire
de l'automne, et s'enfuit parmi
les brouillards et les champs
dévorés par les herbes ?

Elle était ici – ici à l'intérieur
de nous, comme si elle s'était toujours
trouvée là ; et nous ne
l'entendons pas, comme si elle ne nous
parlait pas depuis toujours,
là, à l'intérieur de nous.

Et maintenant que nous voulons l'entendre,
comme si nous l'avions re-
connue jadis, où est-elle ? La voix
qui danse la nuit, en hiver,
sans lumière ni écho, tandis qu'elle
prend de sa main le fil
obscur de l'horizon.

Elle dit : « Ne pleure pas ce qui t'attend,
ne descends plus la rive
du fleuve ultime. Respire,
d'un trait bref, l'odeur
de la résine, dans le bois, et
le souffle humide du poème. »


Comme si nous l'entendions.

p.205-206
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« ULYSSE », UNE PAGE

Ayant écrit les mots qui, pensait-il,
seraient les derniers, il revint au début
du poème ; et ainsi, il s'obligea à poursuivre jusqu'à
la fin de la strophe, sans interruption. La grammaire
le forçait à suivre les règles anciennes, l'esprit
ne parvint pas à fuir la contingence de la forme – et
l'attachant à la matière verbale du poème, il le libéra
de la pensée, de l'abstraction, de la propre idée
qui le gouvernait – navigateur du sublime. Mais
ce ne fut pas cela qu'il rêva, un jour, quand il s'aperçut
que le langage pouvait exprimer son trouble ;
et il ne trouva pas d'autres manières de traduire
le doute qui l'empêchait désormais de classer
comme « poétique » ou « lyrique » ce qu'il écrivait.
« Le chant ne me satisfait pas, je cherche la totalité. »
Cependant, cette voix n'était pas la sienne. En elle, il entendait
l'écho que l'humidité étouffe en automne ; et le cri
lointain d'un oiseau inquiet ; et le murmure
des lèvres qui répètent le commandement incomplet :
« dieu...qui est dieu ? » Lui, s'il le savait, occuperait
le vide de cette voix. Aucune certitude ne remplace
la conviction du néant ; nul ressac ne blanchit
les cheveux de l'aube. « Croyez au rythme »,
disait-il, comme si quelqu'un l'entendait. La mort est une
femme nue parmi les statues du parc ; une
femme nue à cheval sur une machine à écrire ;
le sexe d'algues que la marée découvre,
entre les derniers mots du poème et le corps,
qui les entend, enchaîné à la mâture du vers.

p.32-33
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BOTANIQUE

ll n’y a pas de différence entre la texture des mots
( je dis bien des mots, et non du tissu ou du cristal )
et l’impression que la surface de certaines feuilles
laisse sur les doigts : je me réfère à des feuilles comme celles des
platanes, des peupliers, et aussi des
cyprès. L’impression se transmet à l’âme,
ou à ceci, qui, en nous porte ce nom, et nous mène
vers un décor étrange d’idées et d’ombres où,
comme dans la caverne du philosophe, on ne voit pas la lumière
entrer : comme en songe, tout vibre dans le cœur
de l’obscurité. Alors, d’un geste brusque, j’arrache
ces feuilles. Pourtant, sur le sol, séparées de leur branche,
elles ne me disent rien, sinon que, dans le dictionnaire,
il est écrit : organe souvent en lame mince de couleur verte des plantes
à fleurs ou phanérogames...

MÉDITATIONS SUR DES RUINES ( 1994 )
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RECETTE POUR FAIRE LE BLEU

Si tu veux faire du bleu,
prends un morceau de ciel et mets-le dans une grande marmite,
que tu puisses porter au feu de l'horizon ;
puis mélange-le avec un reste de rouge
de l'aube, jusqu'à ce qu'il ait fondu ;
verse le tout dans une bassine bien propre,
pour qu'il ne reste rien des impuretés de l'après-midi.
Pour finir, tamise un reste d'or du sable
de midi, jusqu'à ce que la couleur attache au fond métallique.
Si tu veux, pour que les couleurs ne passent pas
avec le temps, jette dans le liquide un noyau de pêche brulé.
Tu le verras fondre, sans laisser la moindre trace comme si
tu ne l'y avais pas mis ; et le noir de cendre ne laissera
pas même un reste d'ocre sur la surface dorée.
Tu pourras alors porter la couleur à hauteur
des yeux, et la comparer au bleu authentique.
Les deux couleurs te paraîtront semblables, sans qu'il
te soit possible de les distinguer l'une de l'autre.
Voilà comment j'ai procédé - moi, Abraham ben Judas Ibn Haïm,
enlumineur de Loulé - et comment j'ai laissé la recette à qui voudrait,
un jour, imiter le ciel.

MÉDITATIONS SUR DES RUINES ( 1994 )
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L'ORDRE DU MONDE

Le matin, je cueille les herbes du jardin. La terre,
encore fraîche, sort avec les racines, et se mélange
au brouillard de l’aube. Alors le monde
s’inverse : le ciel, que je ne vois pas, est
sous la terre ; et les racines montent
en suivant une direction invisible. De
la maison, pourtant, m’appelle une odeur
de café : comme si quelqu’un me disait
de me réveiller, une seconde fois,
pour que les racines croissent dans
la terre et que le brouillard, se dissipant, laisse voir le bleu.

Recueil Méditation sur des ruines ( 1994 )
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Il bâtissait des chimères; et les laissait partir en fumée sans se préoccuper d’en fixer l’image - finalement, ce dont les poèmes sont faits…
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Dans un coin du café, ce que tu recherches, c’est que le poème
te dise qui tu es, pourquoi tu te caches, quel est le nom
de la fille qui t’a regardé fixement.
Et tu n’as pas de réponse.
La réponse était sur les lèvres de cette fille
que ton silence n’a pas su interroger;
et dans le vent qui balayait l’esplanade,
emportant feuilles et papiers.
L’automne : une image, celle de ta propre vie,
que tu n’as pas su ignorer;
pour que d’une banale conversation avec l’inconnue,
surgisse une image, cette autre,
de la vie que tu aurais aimé ne pas perdre,
à chaque instant, entre tes doigts et tes vers.
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