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sur 216 notes

Critiques filtrées sur 1 étoiles  
(nouvelle critique en 2ième lecture)
En première lecture j’ai été frappé par l’absence de position directe de Jung vis-à-vis du régime nazi alors que d’autres sources indiquent sa relative proximité avec certains dignitaires. Ce silence m’a gêné et j’ai interrompu ma lecture. Et puis une autre question a surgi de l’actualité : comment Jung peut être mis en tête d’affiche à Marseille par La Nouvelle Acropole, une association connue des services de l’Etat pour ses dérives sectaires. J’ai repris ma lecture pour me faire mon propre avis.

Il faut reconnaitre que sa biographie peut se lire comme un roman passionnant qui explore l’âme humaine, disons l’inconscient pour donner une teinte scientifique. L’auteur a d’ailleurs une forte productivité littéraire. Doué d’une plume romantique il sait aussi cultiver le suspens par l’ambivalence et entraîne le lecteur en alternant les éléments crédibles et des éléments mystérieux inaccessibles à son expérience ou à sa compréhension. Et dans un souffle de liberté le lecteur est encouragé à « mythologiser » à son tour !

Mais la nature romantique de sa biographie ne doit pas faire oublier son rôle de psychiatre et les malades qu’il a en charge. D’autre part sa production littéraire lui a permis de gagner très vite une renommée scientifique internationale, renommée qui l’engage un peu plus qu’un simple citoyen suisse.

Sa démarche d’analyse de l’inconscient est directement inspirée de Freud mais Jung estime que la sexualité était devenue une véritable obsession dans la méthode freudienne. Conséquence inattendue, il élimine totalement la sexualité de l’interprétation des rêves au lieu de l’englober dans une vision plus large. Par ailleurs il développe au cours de son auto-analyse une autre clé de lecture, une lecture mythologique, à partir de son expérience exclusive. Il éprouve généralement la plus grande difficulté à prendre en compte les expériences issues de ses contacts avec d’autres cultures. Par exemple, de la philosophie du Tao il ne perçoit que les aspects alchimiques et divinatoires qui le passionnent. Du bouddhisme, il ne retient pas les messages qui l’invitent d’une part à ne pas se jeter sans discernement sur chaque question qui se présente, et d’autre part à ne pas s’y perdre dans des spéculations.

Son ego surdimensionné, sa passion pour les expériences extra-sensorielles, sa passion pour l’histoire des symboles de la mythologie à l’alchimie expliquent mieux la suite.

Le monde qui l’entoure l’interpelle jusqu’à sa rencontre avec le phénomène nazi qui le jette dans l’embarras. En 1913 « ce que les allemands voulaient réaliser, c’est imposer héroïquement leur propre volonté. ». En 1925 « en Europe l’atmosphère était devenue irrespirable », En 1957 il exprime la menace de « l’embrigadement de masse ». Mais entre 1925 et 1957 il n’y a plus aucune évocation du monde.
En réalité ses réflexions sur l’inconscient collectif rejoignent son sentiment religieux. Sa biographie réserve de longs développements sur le mythe chrétien qui résonne en lui. Il se défend d’être un de ces « poissons muets (…) pris dans les filets de Pierre (…) et qui ont besoin de la cure des âmes » mais l’éducation qu’il a reçue de son père pasteur est prégnante. Le mythe est vivace mais l’origine de Jésus est bizarrement très raccourcie : un personnage d’envergure est venu à la rencontre des inconscients collectifs réagissant à l’oppression des empereurs romains. Dans ce même paragraphe il évoque rapidement le problème du bolchevisme en occultant à nouveau le phénomène nazi. N’a-t-il pas révélé son point de vue au quotidien anglais the Observer (source wikipedia à vérifier) ? : Jung assimile Hitler à un « médium » et affirme que « la politique allemande ne se fait pas, elle se révèle à travers Hitler. Il est le porte-parole des dieux comme jadis ». Jung insiste aussi sur le fait que l’homme ne devrait pas renoncer à « mythologiser », une recommandation diablement ambigüe qui ne sonne pas vraiment comme un appel à la liberté. Dans sa réflexion sur l’homme libre un rêve lui dévoile « une pensée et un pressentiment qui existent dans l’humanité depuis longtemps déjà, l’idée d’une créature qui dépasse le créateur de très peu, mais d’un très peu décisif ».

Jung fait finalement référence au national-socialisme dans « ses pensées tardives » mais le sujet change subitement ; alors que toute sa biographie est écrite à la première personne, un « Je » parfois pesant, soudain Jung rejette la question négligemment au lecteur en utilisant le « Nous » comme s’il n’avait aucune idée du sujet même avec le recul des années ! : « Nous sommes perplexes, stupides et désorientés devant les phénomènes du national-socialisme ».

« Ma vie » est le dernier livre de Jung, celui qui pouvait corriger des erreurs ou dissiper des doutes vis à vis de sa relation avec le national-socialisme, mais il n’en est rien. Il n’apporte d’ailleurs pas non plus son analyse du bolchévisme. Alors qu’en est-il de ses patients ? Ses récits de guérisons peuvent être compris comme le résultat d’une approche profondément sympathique du psychiatre avec ses malades, mais sous la plume de Jung les récits prennent une allure épique qui fait ressortir son penchant narcissique. Par exemple il n’hésite pas à s’accorder le bénéfice de futures améliorations pour ses malades alors même que la thérapie a visiblement échoué pour un tiers d’entre eux. Il n’a d’ailleurs pas le moindre doute sur la guérison définitive des deux autres tiers.

Je trouve que ce livre jette aussi un doute sur la portée de la science en matière de psychologie. Jung lui-même hésite à ce sujet. La prétention à connaitre l’inconscient continue à pousser l’homme dans une position singulière hors du buisson des espèces, une position singulière qui se prolonge par le sentiment religieux et par l’idée du surhomme. Jung fait remarquer que « jamais encore une femme n’a été convaincue que son mari était un surhomme », mais ce type de déclaration n’est pas suffisant pour l'empêcher d’être un candidat idéal comme tête d’affiche pour des évènements organisés par la Nouvelle Acropole, une association à l’idéologie d’extrême droite.
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