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Citations sur L'Amérique ou Le Disparu (21)

Karl voyait bien que sa place était déjà perdue : le gérant l'avait déjà dit, le portier en chef l'avait répété comme on constate un fait acquis, et il n'était sûrement pas nécessaire que le renvoi fût confirmé par la direction de l'hôtel dans le cas d'un malheureux groom. Tout s'était passé, à vrai dire, plus vite qu'il n'avait pensé, car, après tout, il y avait deux mois qu'il travaillait déjà pour l'hôtel en toute conscience et sûrement mieux que maint autre. Mais ces choses-là n'entrent sans doute justement pas en ligne de compte au moment décisif en Amérique ni en Europe ; les décisions sont prises comme la colère les dicte aux juges dans le premier moment.
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Aussi a-t-il fallu que Clara vous attire ici ; sans quoi je ne vous aurais jamais entendu jouer. Vous le faites en vrai débutant ; même dans ces chansons que vous avez étudiées, et qui sont d'une facture très primitive, vous avez commis quelques fautes ; mais en dehors de ces considérations, j'ai été très heureux de voir que je ne méprise le jeu de personne.
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incipit :
Lorsque, à seize ans, le jeune Karl Rossmann, que ses pauvres parents envoyaient en exil parce qu'une bonne l'avait séduit et rendu père, entra dans le port de New York sur le bateau déjà plus lent, la statue de la Liberté, qu'il observait depuis longtemps, lui apparut dans un sursaut de lumière. On eût dit que le bras qui brandissait l'épée s'était levé à l'instant même, et l'air libre soufflait autour de ce grand corps.
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− Je viens parce que je crois que le chauffeur m'accuse de je ne sais quelles improbités. Une fille de la cuisine m'a dit qu'elle l'avait vu passer. Mon Capitaine, et vous, messieurs, je suis prêt à réfuter toute accusation, papiers en main, et, s'il est nécessaire, en faisant déposer des témoins non prévenus et non influencés qui se tiennent ici à la porte.
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" Cependant, fermement décidé à ne pas dormir, il s'assit sur l'unique chaise de la chambre, remit à plus tard le soin de fermer sa cantine ‒ il avait encore toute la nuit ‒ et feuilleta un peu sa Bible sans la lire. Il prit ensuite la photographie de ses parents : le petit homme qu'était son père se tenait tout droit sur cette image tandis que la mère restait prostrée dans un fauteuil. Le père posait une main sur le dossier du siège et l'autre, le poing fermé, sur un livre illustré qui était ouvert à côté de lui, sur un fragile guéridon. Karl avait bien une autre photographie, qui le montrait avec ses parents ; on le voyait fronçant le sourcil pour l'obliger à regarder l'appareil comme le demandait le photographe ; mais il n'avait pas pris cette photo avec lui.

Il n'en regardait que plus attentivement celle qu'il avait sous les yeux, et cherchait à capter le regard de son père en la tournant sous divers angles. Mais il avait beau la tourner, et modifier la position de la bougie, le père refusait de vivre ; sa grosse moustache ne ressemblait pas à la réalité, ce n'était pas une bonne photo. La mère, en revanche, était un peu mieux réussie ; elle pinçait la bouche comme une femme outragée qui se serait contrainte à sourire. Il semblait tellement à Karl que ce détail devait frapper ceux qui regardaient la photo que la violence de cette impression lui paraissait presque anormale. Comment une photo pouvait-elle donner si fortement la conviction définitive d'un sentiment caché sous les traits du visage ? Il détourna ses yeux de l'image. Quand il y revint il fut frappé par l'aspect de la main de sa mère qui pendait sur le bras du fauteuil, au premier plan, si près qu'on eût pu l'embrasser. Il se demanda s'il ne serait pas bon qu'il écrivît à ses parents comme ils le lui avaient demandé (le père surtout, à Hambourg, en dernier lieu, très sévèrement). Jadis, sans doute, ce soir horrible où sa mère lui avait appris, à la fenêtre, qu'il faudrait partir pour l'Amérique, il s'était bien juré ses grands dieux de ne jamais leur envoyer un mot, mais que valait maintenant, ici, dans sa nouvelle situation, ce serment d'un petit garçon ! Il eût aussi bien pu jurer de devenir général de la milice fédérale ! Et maintenant il se trouvait en compagnie de deux voyous dans la mansarde d'une auberge de New York, et devait s'avouer, pour comble, qu'il y était bien à sa place !!! Il examina en souriant la physionomie de ses parents comme s'il eût pu lire en elle s'ils avaient toujours le désir de recevoir des nouvelles de leur fils.

A force de regarder, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était très fatigué et ne pourrait que difficilement veiller encore jusqu'au matin. La photo s'échappa de ses doigts ; il appuya sa joue sur elle ; cette fraîcheur lui fit du bien et il s'endormit sur une sensation agréable. "

[Franz KAFKA, "Der Verschollene/"Amerika" (1927) - "L'Amérique", chapitre IV : "Sur la route de Ramsès" - traduction d'Alexandre Vialatte pour les éditions Gallimard, 1946 - pages 124-125 de l'édition de poche "folio"]
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Et le matin comme le soir et dans les rêves de la nuit, s'activait dans cette rue une circulation toujours dense, qui vue d'en haut se présentait comme un mélange inextricable, et sans cesse renouvelé, de silhouettes humaines déformées et de toit de véhicule de toute sorte, d’où s'élevait un autre mélange encore plus sauvage, fait de bruit, de poussière et d'odeurs, et tout cela était happé et traversé par une puissante lumière sans cesse dispersée, emportée, puis aussitôt frénétiquement rapportée par cette multitude d'objets, de sorte qu'elle avait pour l’œil envoûté l'aspect précis d'une cloche de verre recouvrant toute la rue et qu'une force brutale eût, à chaque instant, fait voler en éclats.
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‒ Comment t'appelles-tu ? demanda-t-il en remettant le bâton sous son bras et en sortant lentement un carnet.
Karl l'observa alors de plus près : c'était un homme vigoureux, mais dont les cheveux étaient déjà presque tout blancs.
‒ Karl Rossmann, dit-il.
‒ Rossmann, répéta le policeman en homme consciencieux et posé.

[Franz KAFKA "Der Verschollene" / "Amerika" (1927), chapitre VII : " UNE VISITE ", traduit de l'allemand par Alexandre Vialatte (1946)]
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Montre en main, sur le pas de la porte, se tenait le strabique gérant.
- Es-tu toujours aussi en retard? demanda-t-il.
- Nous avons eu des contretemps, répondit Karl.
- Il y en a toujours, dit le gérant. C'est connu. Mais chez nous ils ne servent pas d'excuse. Rappelle-toi ça.
Ces sortes de propos n'impressionnaient plus Karl : chacun profite de sa puissance pour insulter ses inférieurs. Une fois que l'habitude en est prise, on n'entend pas plus ces choses-là que le tic-tac de la pendule.
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‒ Fais voir tes pièces d'identité, dit le sergent de ville.
C'était une demande de pure forme, car sans doute on ne saurait avoir beaucoup de papiers dans sa poche. Karl se tut donc, se réservant de répondre copieusement à la question suivante pour compenser de son mieux le manque de pièce d'identité.
Mais la question suivante fut : "Tu n'as donc pas de papiers d'identité ?" et Karl fut bien contraint de répondre : "Pas sur moi."
‒ Voilà qui va mal, dit le policeman en regardant pensivement à la ronde et en frappant du bout de deux doigts sur la couverture de son carnet.
‒ Touches-tu un salaire quelconque ? demanda-t-il au bout d'un moment.
‒ J'étais groom d'ascenseur, dit Karl.
‒ Tu étais groom d'ascenseur ? Tu ne l'es donc plus ? Et de quoi vis-tu maintenant ?
‒ Je vais chercher un nouveau travail.
‒ Tu as donc été renvoyé dernièrement ?
‒ Oui, il y a une heure.
‒ Brusquement ?
‒ Oui, dit Karl en levant la main comme pour s'excuser.
[...]
‒ Et on t'a relâché sans veste ? demanda le policeman.
‒ Eh oui, dit Karl.
Il constatait qu'en Amérique comme en Europe, les autorités s'attachent à demander ce qu'elles voient de leurs propres yeux.

[Franz KAFKA "Der Verschollene" / "Amerika" (1927), chapitre VII : " UNE VISITE ", traduit de l'allemand par Alexandre Vialatte (1946)]
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Un étroit balcon longeait toute la pièce. Mais ce qui eût constitué dans la ville natale de Karl le plus haut des postes d'observation ne permettait guère plus ici que de dominer une rue qui, fuyant en droite ligne entre deux rangées de maisons coupées à la hache, allait se perdre dans un lointain où surgissaient formidablement, du sein d'une épaisse vapeur, les formes d'une cathédrale. Et, le matin comme le soir, et dans les rêves de la nuit, cette rue était le théâtre d'une circulation fiévreuse qui, vue d'en haut, se présentait comme un mélange inextricable de silhouettes déformées et de toits de voitures de toutes sortes, mélange compliqué sans cesse d'une infinité de nouveaux afflux, et d'où s'élevait un autre amalgame, encore plus forcené que lui, de vacarme, de poussière et de bruits répercutés, le tout happé, saisi, violé, par une lumière puissante qui, dispersée, emportée, ramenée à une vitesse vertigineuse par le tourbillon des objets, formait au-dessus de la rue, pour le spectateur ébloui, comme une épaisse croûte de verre qu'un poing brutal eût fracassé à chaque instant.
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