XVI
Une figure d’ange d’ébène
aux ailes de solide métal d’or
s’est levée sur mon cœur qui dort
empreint du rêve doux de sa chaîne,
et de larges yeux surhumains palpitent
comme des gisements d’amour à tréfonds d’âmes ;
s’allument florales de colossales pépites
d’un métal fluide et dense plus pur que l’or.
La voix retentit comme un hymne paré d’étoiles
parmi les drapeaux et les miroirs de fête ;
des cadences de marteaux géants dans des forges
hantées de chanteurs athlètes
s’allument, frissonnent, sonnent et s’estompent
pour faire place au chant doux des harpes.
Pas des géants aux chansons douces d’amour, passez
sur le rêve de mon cœur joyeux d’être enchaîné.
Des essaims de magiciens incantent :
paraissez, phosphorescences dorées,
symbole des enlacements,
chant battant des orgueils d’amants.
Des essaims de magiciennes chantent.
Illuminez, beauté,
la terre éparse de lacs d’étoiles,
la terre semée de bals de lumières
et des courses d’œgipans parmi les toiles
aranéennes des grands taillis dormants
où se jouent les lignes des lèvres qui chantent.
P.32-33
Chansons
XIX
Celle qui t’aime a dit aux vents :
Passez par le front des futaies,
écoutez les ténèbres des cités,
murmurez des appels à l’Orient et l’Occident
et sa voix vous répondra… Moi.
Celle qui t’aime dit à la mer :
Vos flux et vos reflux et vos marées,
ce lent déroulement de vos baisers sur le rivage,
les bourrasques de vos colères sur le rivage,
comme son âme sur ma bouche — ô mer.
Celle qui t’aime dit à son âme :
Mes fiertés, mes marches hautaines,
nos fuites dans la forêt, les baisers
perdus pour lui, perdus pour moi,
mon âme, un jour tu les lui rendras.
P.45
XXIII
Toutes chansons au bois résonneront ;
tous les printemps vert pâle fleuriront,
toute banquette au bois s’enchantera de liserons,
le rire par le bois tarira.
Croyez en la voix des pauvres bûcherons ; —
toutes chansons au bois se flétriront,
dans les baisers froids du printemps vert pâle,
tout le bois frilera.
Oubliez les chansons des pauvres bûcherons,
octobre vert pâle passera sur les bois,
toute banquette au bois s’enchantera de liserons,
le rire par le bois trillera.
Toutes chansons au bois résonneront ;
tous les autommes pâles y béniront
les idylles des pauvres bûcherons ;
par les lamentos des automnes vert pâle
tout le bois, tout le bois rira.
p.50-51
L’émission « Poètes oubliés, amis inconnus », par Philippe Soupault, diffusée le 3 avril 1960 sur France Culture.