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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Isabelle Kauffmann Les corps fragiles le Passage ( 138 pages – 15€)

La couverture mérite un arrêt sur image. Un titre qui renvoie à la fragilité de notre ossature/ notre charpente. On peut se casser un bras ,une jambe, se broyer une main, se tordre un pied, se luxer une épaule. Dans tous ces cas, on appréciera les mains expertes qui soigneront nos maux.

Les deux silhouettes aériennes,pleines de grâce, de délicatesse, de légèreté, de souplesse, sculptures de l'artiste Roseline Granet rappellent la nouvelle d'Isabelle Kauffmann dans Cabaret sauvage «  Trapèze-moi », à la chute dramatique.

L'auteur autopsie, dissèque le corps et consacre chacun des chapitres à un organe, un membre précis: mains, coeur, tête, jambes, yeux.

Isabelle Kauffmann a l'art d 'introduire son motif. du gros plan du dessin de la main d'une enfant de six ans ( en 1935) l'oeil glisse, coulisse vers les mains de madame Masson, aux doigts difformes, «  aux articulations boursouflées ». La vocation de la «  petite Antoinette » était née, trouvant «  injuste » cette inégalité, consciente des difficultés rencontrées par cette voisine dans la gestion de son quotidien, elle veut aider, soulager, être utile. le rendez-vous matinal avec sa patiente devient un rituel.

L'auteure nous plonge dans la campagne que son héroïne traversait pour se rendre à l'école. La narratrice confesse y avoir puisé «  plénitude et harmonie », son « équilibre fondateur », indispensable quand on embrasse la vocation de soignante.

Mais avoir la vocation ne suffit pas, suivre le cursus d'infirmière nécessite volonté et travail. de la ténacité aussi, surtout quand on se retrouve orpheline à 19 ans avec une soeur cadette à prendre sous son aile.

Marie-Antoinette revisite ses débuts à l'hôpital Saint Joseph, pointe le fossé entre les cours et la réalité. Certains gestes n'étaient pas enseignés, comme le massage cardiaque. Certains sujets restaient tabous comme le sexe, obligeant le personnel à se former sur le tas. Elle se remémore les «  traversées nocturnes en solitaire », pas encore préparée à côtoyer la mort, qui la laisse «  démunie et impuissante» .
Elle travailla aussi à La Croix rouge, en 1954, période où elle doit venir en aide à « une population indigente ». Elle n'hésite pas à sacrifier son salaire pour permettre à une mère de nourrir son jeune enfant.

Elle souligne aussi la pénurie de personnel, qui est toujours d'actualité et qui conduit à l'épuisement physique et parfois au burn out, même si ce terme est plus récent. Elle se revoit effectuant comme un travail à la chaîne, épuisée.

On croise des auxiliaires de santé plus anciennes :les religieuses aux «  cornettes blanches », «  comme des grands oiseaux battant des ailes » à qui Marie-Antoinette reproche leur «  Manque d'humanité ».

Être infirmière, c'est se dévouer corps et âme, alors peut-on concilier vie privée et professionnelle quand on décide de s'installer infirmière libérale ?
La narratrice confie comment elle géra les deux, mettant en exergue les qualités de son mari : «  il me soutiendra, m'attendra, m'écoutera avec une infinie patience. »

Une impressionnante galerie de patients aux pathologies diverses , passées dans les mains délicates de Marie- Antoinette défilent. Des jeunes, des plus âgés, des gens modestes, des artistes illustres, émirs, des fous, tous sont soignés, écoutés avec la même attention. «  Quel miracle quand la vie jaillit de la maladie ! ». Sa présence apaise. Elle est la confidente, la conseillère, la mère qui offre du réconfort par sa voix lénifiante. «  La voix éclaire celui qui l'écoute ».
Mais Marie-Antoinette se fait un honneur de refuser toute invitation.

La tuberculose sévit encore, faute d'antibiotiques, la polio ( obligation du BGC en 1950), l'alcool fait ses ravages. Un miracle quand elle réussit à contrer une tentative de suicide. Des situations de détresse pour des jeunes filles accouchant seules ( déni de grossesse), la contraception étant à ses balbutiements «  au seuil des années 70 ».
Puis, dans les années 80, l'infirmière dévouée sera confrontée à ce « tsunami planétaire », le sida, dont Philippe Besson retrace l'origine dans le patient zéro ( Incipit). de ses parents Marie-Antoinette a hérité les valeurs de la tolérance et le respect, pas d'homophobie chez eux, ce qui explique sa consternation de constater le rejet de la société, mais aussi des parents qui n'acceptent pas cette déviance.

Si exercer le métier d'infirmière, on le sait demande «  dévouement,empathie, rigueur, dextérité, vivacité, connaissances », on ignore souvent qu'il leur faut aussi «  des jambes » pour parcourir «  une quarantaine de kilomètres par jour » à pied, les ascenseurs sont réservés aux «  immeubles bourgeois ».

Elles savent offrir «  cette seconde bénie », «  cette fraction intime de bonheur » par un sourire, un geste, une parole. Vient à la mémoire le témoignage de Sylvain Tesson, plein de gratitude pour celles, ceux qui l'ont remis sur pied.


Dans le touchant chapitre final L'âme, Marie- Antoinette , «  l'infirmière chantante », à «  l'âme de Saint- Bernard », converse avec Françoise, la soignante à trottinette, à qui elle a ouvert la voie, chacune d'elle comparant leur carrière après 40 ans de pratique. Ne sont-elles pas devenues la figure respectable du quartier après tant d'années dans le même secteur, avec qui on reste en lien ?
Elles ont vu les miracles opérés par les vaccins, les antibiotiques, plus d'hygiène, du matériel jetable. Mais constatent un manque de solidarité, une solitude plus grande de nos jours pour les personnes âgées, parfois un sentiment d'abandon.
Et de reprendre l'injonction de Louis Chedid : «  On ne dit pas assez aux gens qu'on aime qu'on les aime », pour conjurer l'inéluctable, la finitude de la vie.

Toutefois, si l'avenir est à la robotique, «  aucune machine ne pourra remplacer l' attention », l'oeil de l'infirmière qui , lors de ses visites à domicile, soignent le corps et l'âme, la vie pouvant être d'une brutalité insensée. Un travail prenant, épuisant » un combat » selon les cas, comparé à la journée «  d'un paysan tôt dans ses champs, qui fait le tour de ses terres et revient à la tombée de la nuit ».

La genèse du roman, Isabelle Kauffmann nous la révèle dans l'appendice.
Isabelle Kauffmann à travers ses personnages explore la relation patients/ soignants.
Sa formation de médecin est là en filigrane ainsi que ce dévouement envers les autres, les patients. le vibrant hommage qu'elle rend à Marie-Antoinette est pétri de déférence, d'admiration pour avoir été pionnière dans cette profession. Elle rappelle la britannique Florence Nightingale, infirmière et féministe, exemplaire pour sa compassion et dévouement aux soins des malades.

L'auteure insiste sur le rôle que les infirmières ont auprès des personnes isolées.
N'est -ce -pas un des métiers qui a toujours forcé l'admiration ? D'autant plus de nos jours où les conditions de travail semblent s'être dégradées.
A travers ce parcours d'une vie se déroulent les progrès de la médecine , des soins plus adaptés, des vaccins qui épargnent des vies, contrairement aux hécatombes, aux pandémies du passé. Sauf que les années 80 voient l'émergence du sida.

Isabelle Kauffmann tresse des louanges à Marie-Antoinette qui a su soigner le corps et l'esprit , avec abnégation et patience et réaliser admirablement son rêve d'enfance.
Elle signe un remarquable éloge de la profession d'infirmière dans lequel elle entrelace un panorama de la médecine, son évolution et les conditions de travail du personnel soignant, autrefois et de nos jours. Un roman qui met au centre le corps,qui « n'est pas un havre de paix, mais un monde frémissant en perpétuel remaniement » . Une note positive éclaire le roman : « l' optimisme », dont Marie-Antoinette est habitée. Un récit mâtiné d'humanité.




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Attirée par le titre et la couverture épurée qui y fait écho, je ne regrette pas que mon attention se soit portée sur les Corps Fragiles, un petit roman plein de grâce, écrit avec talent et beaucoup d'âme...
En surface, le corps fragile est un récit semi-biographique, mêlé de la propre expérience d'infirmière de l'auteure, Isabelle Kauffmann, et de celle de la première infirmière libérale de Lyon, Marie-Antoinette, qui partage ses souvenirs, la naissance de sa vocation, sa formation médicale, puis sa carrière, passée à arpenter les traboules lyonnaises, et à user ses mocassins de chez un patient à l'autre... Les patients justement et leurs maladies, les défaillances de leurs corps, leurs souffrances et drames qu'elle accompagne de son mieux, et en filigrane l'évolution de la médecine, l'évolution des moeurs...
Mais ce qui fait le véritable charme des Corps Fragiles, c'est justement qu'il n'est pas construit de manière chronologique mais thématique, autour de parties du corps justement, autours desquelles sont associés expériences et souvenirs, les mains d'abord, celles de sa vieille voisine percluse dont la vision, à l'âge de six ans, va être la révélation de sa vocation d'aidante ; les siennes ensuite, qui vont accomplir de nombreux actes médicaux ; celles de ses patients enfin, et les pathologies qui les frappent au fil des ans... et à l'avenant les jambes, les yeux, la voix, le coeur, le sexe, l'âme...

Une très agréable lecture, sensible, pleine d'espoir et d'optimisme malgré les méandres parfois sombre du sujet.
Merci beaucoup aux éditions du Passage et à Babelio qui m'ont permis de le découvrir !
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Merci à Cutura et aux editions le Passage.Aussitôt reçu aussitôt lu. le résumé a tout de suite retenu mon attention. Marie-Antoinette, née entre deux guerres, se découvre à 6 ans l'envie d'aider les plus faibles malgré les moqueries de sa fratrie. Par la suite, grâce à son courage, son désir d'aider les autres elle devient la première infirmière libérale.
La structure de ce récit est particulière. Isabelle Kauffmann va intituler ses chapitres avec différentes parties de l'Homme (les mains, le coeur, les yeux, l'âme,...) et ce chapitre va tourner autour de maladies, d'histoires qui se rapportent à ce sujet.
C'est un livre très court (137 pages), simple à lire, qui sait retenir l'attention du lecteur. le seul bémol est que les termes médicaux peuvent être compliqués par moment.
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Un livre magnifique qui en finesse, avec charme et subtilité, nous fait suivre les pas de Marie-Antoinette, la première infirmière libérale de Lyon. La construction originale de l'écriture, l'approche des corps et des patients se fait avec beaucoup de sensibilité et le récit nous fait suivre les visites de cette infirmière au plus près des corps mais aussi de ceux qui partagent avec elle un morceaux de vie, dans la souffrance mais aussi dans la joie.
Ces morceaux comme les chapitres, le livre refermé, nous laissent une trace dans le corps comme si l'âme des corps fragiles était passée en nous.
Voilà un livre qui est plein d'évocation pour celles et ceux qui font métier d'apporter soins et aides mais pas seulement. Il parle aussi à nous simples humains, patients parfois et je vous invite à cette promenade pour votre plus grand plaisir!
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Ce livre est beau en main, la quatrième de couverture m'annonce le récit de la vie de Marie-Antoinette, première infirmière libérale à Lyon.
La construction m'interpelle, chaque chapitre porte le nom d'un organe. du premier la main au dernier l'âme, me fait penser que je vais voyager du tangible à l'impalpable. Concept parfaitement illustré par la photo des "Petits trapézistes" de Roseline Granet en couverture.

"C'est comme ça que tout a commencé, un jour d'octobre 1935. J'avais six ans. En classe, le maître nous avait fait poser la main sur une page blanche, bien à plat, les doigts écartés, étirés comme les branches d'un arbre, les pétales d'une marguerite, une étoile, un soleil, une aile d'oiseau, les nervures d'une feuille de platane – les idées n'avaient pas manqué-, jusqu'au silence imposé. Puis nous avions lentement suivi ses contours avec un crayon, nous appliquant pour passer au plus près de la peau et ne rien laisser échapper de ce drôle d'objet qui n'était autre qu'une parcelle de notre propre corps."
De cet exercice scolaire l'oeil de la petite fille va glisser sur les mains d'une voisine déformées par une polyarthrite rhumatoïde. du haut de ses six ans elle décide de lui prêter ses mains agiles tous les matins pour enfiler ses bas et mettre ses chaussures.
Ainsi naquit "son intérêt pour les autres".
Vingt ans après, elle intègre le service cardiologie d'un hôpital, pour son premier poste d'infirmière.
Mais d'un drame familial, elle tire une force pour gagner son indépendance et exercer "le prendre soin des autres, de tous les autres".
Au fil des chapitres, ce sont les maux du siècle qui défilent : tuberculose, alcoolisme, méningite, avortements, folie et ce fléau du Sida.
Avoir des jambes solides, un coeur bien accroché, la tête froide en toute circonstance et surtout être cette main tendue, le geste et la parole qui rassure, savoir évoluer dans tous les milieux, ne jamais juger, créer du lien.
Car à travers cet inventaire à la Prévert, c'est la notion de lien qui se délite des années 1950 à nos jours, plus de solitude moins d'entre-aide spontanée, celle qui consiste à partager le peu que l'on a. Moins de sourire donc moins de mots, le repliement des personnes âgées.
Cela me fait penser au fait divers de cette dame qui est resté une semaine auprès de son mari mort, sans qu'elle ne s'en aperçoive et sans que personne ne s'en inquiète.
Modification du paysage qui devient urbain.

La grande qualité de ce récit c'est qu'il ne se lit pas il se vit. Car de l'enfant de 6 ans jusqu'à la maturité, la détermination de Marie-Antoinette ne faiblit pas illuminée par son humanité.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 3 mars 2017
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